Vous avez dit front commun?

Justin Trudeau a finalement confirmé qu’il rencontrerait les premiers ministres des provinces pour discuter du financement fédéral de la santé le 7 février prochain. Une rencontre de travail, a-t-il dit, en vue de la conclusion, dans quelques semaines, d’une entente de dix ans, avant le dépôt du prochain budget Freeland.

Du côté du gouvernement Legault, on se réjouit du fait qu’Ottawa ne parle plus de « conditions », mais plutôt de « partage de données ». Or, il est clair qu’avec des données, on peut vérifier si les objectifs fixés sont atteints, si les conditions sont remplies. « Ce qui se mesure peut s’améliorer », a déjà dit Christian Dubé.

C’est un véritable déblocage, a-t-on fait observer. Il y a quelques semaines à peine, le premier ministre canadien et son ministre de la Santé, Jean-Yves Duclos, répétaient que le gouvernement fédéral n’accepterait jamais d’augmenter sa part du financement de la santé sans que les sommes additionnelles soient liées à des conditions et à l’atteinte de résultats. On aurait sans doute tort de croire que cette détermination s’est évanouie comme par enchantement.

Ce que propose Justin Trudeau à ses homologues, c’est une entente globale qui serait accompagnée de 13 ententes bilatérales signées par autant de provinces et territoires. Ces accords bilatéraux serviraient à répondre aux besoins particuliers de chacune des provinces et de chacun des territoires, qui pourraient affecter les sommes selon leurs priorités, comme les soins de première ligne, dont les soins à domicile, la réduction des listes d’attente pour les interventions chirurgicales et la santé mentale.

La question qui se pose, c’est de savoir si ces ententes bilatérales comporteront des enveloppes spécifiques pour chacune des priorités, associées à l’atteinte de résultats mesurables et à une reddition de comptes à l’avenant, le tout revu périodiquement. En clair, il pourrait s’agir d’un financement assorti de conditions grâce auxquelles le gouvernement Trudeau s’arrogerait la responsabilité de contrôler les systèmes de santé et de pratiquer une forme de fédéralisme de supervision. Il y a d’ailleurs plusieurs voix, au Canada anglais surtout, qui y voient une évolution souhaitable. Il est vrai que le gouvernement Trudeau est talonné par le Nouveau Parti démocratique et par une bonne partie de l’opinion publique qui n’a cure des compétences des provinces quand il s’agit de santé.

Le premier ministre François Legault voit d’un bon oeil ces ententes à la carte qui permettraient au Québec de signer sa propre entente « asymétrique » en vertu de laquelle son gouvernement ne s’engagerait qu’à fournir les données qu’il récolte déjà ou qu’il entend colliger une fois rehaussée l’intégration informatique du réseau. Le gouvernement fédéral semble trouver une inspiration dans la collecte de données en santé telle qu’elle est effectuée au Québec depuis que Christian Dubé a pris les rênes du ministère de la Santé et qu’il a implanté son « tableau de bord ».

Il va de soi que tout le monde s’entend sur l’importance d’améliorer les soins de santé au Canada. Avant la pandémie, on considérait que les réseaux de santé dans le reste du Canada étaient beaucoup plus performants que le réseau québécois sous-financé. Mais la réalité a en quelque sorte rattrapé ces provinces : les infections respiratoires chez les enfants ont causé une crise dans leurs hôpitaux pédiatriques, comme ici, d’ailleurs, et la pénurie d’infirmières et des autres professionnels de la santé les frappe également.

En ce sens, les grandes priorités énoncées par le gouvernement fédéral sont partagées par toutes les provinces : remédier au manque de main-d’oeuvre, améliorer les soins de première ligne, les soins à domicile et de longue durée, investir en santé mentale et en télémédecine. Il est aussi évident que le gouvernement Legault veut obtenir des résultats. Tout le monde est pour la vertu.

Un point d’achoppement demeure, et non le moindre : la somme globale qu’Ottawa doit mettre sur la table le 7 février. Ce ne sera certes pas les 28 milliards, soit une part de 35 % des dépenses de santé contre 22 % à l’heure actuelle, que réclament les provinces. Mais il va de soi que si le gouvernement fédéral veut augmenter sa part du financement de la santé, ses transferts devront croître à un rythme plus élevé que les dépenses en santé des provinces, une croissance qui était de l’ordre de 4 % à 5 % avant la pandémie.

Avec ces ententes bilatérales, l’illusoire front commun des provinces vient de se volatiliser sans même qu’on en parle. On verra bien comment le gouvernement Trudeau modèlera ses conditions et comment il entend se servir des données pour exercer son contrôle.

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