La vulnérabilité perpétuée par le système
Le nombre d’immigrants temporaires a explosé au Québec, tout comme dans le reste du Canada d’ailleurs. Et parmi eux, des travailleurs étrangers à bas salaire, qu’ils se trouvent dans les entrepôts ou dans les champs, sont à la merci d’employeurs sans scrupule.
Discuter d’un seuil de 50 000 immigrants reçus, le chiffre programmé par le gouvernement Legault, c’est discourir sur un portrait bien partiel de l’immigration au Québec. Comme l’a rapporté Le Devoir récemment, ce seuil est largement dépassé par l’afflux d’immigrants temporaires. Ainsi, le nombre de ressortissants étrangers détenteurs de permis de travail et d’études présents sur le territoire québécois dépassait les 180 000 en 2022. En tout, selon l’Institut de la statistique du Québec, au 1er juillet dernier, on comptait 290 000 résidents non permanents, toutes catégories confondues. Ce nombre a presque doublé en dix ans.
Le gouvernement caquiste n’en a que pour les professionnels et les travailleurs qualifiés, réunis sous le vocable d’immigration économique et commandant les hauts salaires que favorise François Legault. Il en faut, de cette main-d’oeuvre bien formée que recherchent des employeurs aux prises avec des difficultés de recrutement.
Mais on ne saurait occulter le fait que le Québec a aussi besoin de travailleurs sans grandes études, disposés à prendre des emplois dont les Québécois ne veulent pas et à se contenter des bas salaires qui vont avec. Des emplois ingrats, souvent exigeants physiquement, qui représentent pourtant un rouage important de l’économie. On parle de manoeuvres, de manutentionnaires, de préposés à l’entretien, d’ouvriers dans des usines de transformation alimentaire, de travailleurs agricoles.
Depuis 2015, la main-d’oeuvre recrutée par les entreprises québécoises par le truchement du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) a plus que triplé pour atteindre les 34 000 personnes.
Quelles que soient leurs compétences, les travailleurs étrangers temporaires, s’ils veulent prolonger leur présence au pays, ce qui, souvent, est aussi le souhait de leur employeur, doivent renouveler leur permis de travail, une démarche souvent angoissante compte tenu de l’incurie administrative des autorités fédérales. Certains de ces immigrants sont ici pour trois ans, cinq ans, dix ans même. C’est la grande hypocrisie du système : de nombreux travailleurs temporaires occupent des postes permanents. Plusieurs souhaitent immigrer au Québec.
Contrairement aux étudiants et aux personnes admissibles au Programme fédéral de mobilité internationale, les travailleurs peu qualifiés recrutés par le PTET ne disposent pas d’un permis de travail ouvert, mais d’un permis « fermé » qui lie leur présence au Québec à un employeur unique. Ils sont placés dans une situation de vulnérabilité qui les expose à des abus et à une exploitation éhontée de la part d’employeurs. Ces travailleurs hésitent à porter plainte de crainte de perdre leur emploi et de se voir forcer de retourner dans leur pays, ce dont on les menace, d’ailleurs.
C’est ce genre de situations que montre l’enquête Essentiels. La face cachée de l’immigration, un documentaire présenté à Télé-Québec, réalisé par Ky Vy Le Duc et signé par la militante Sonia Djelidi et la journaliste du Devoir Sarah R. Champagne. On constate que des travailleurs agricoles ont été forcés de s’échiner dans les champs jusqu’à 17 heures par jour et qu’ils ont passé plusieurs semaines sans prendre une seule journée de congé. Logés sur la ferme, ils doivent s’entasser dans des baraques exiguës et invivables qu’on dit conformes aux normes fédérales. On y voit des travailleuses immigrantes se faire exploiter par une agence de placement sans permis. Ou encore ce travailleur qui est employé depuis dix ans par les serres Savoura et qui n’a vu sa famille, restée au Guatemala, que trois mois et demi pendant la décennie, ne réussissant pas à obtenir un certificat de sélection du Québec.
Contrairement à la Charte canadienne, la Charte québécoise des droits et libertés protège les étrangers. Il faudrait s’en souvenir. Se rappeler aussi que les normes minimales de travail, c’est pour eux aussi. Sur la ferme, Québec peut remédier à la discrimination perpétuée par Ottawa et leur garantir un hébergement digne de ce nom, sujet aux mêmes normes qui régissent l’hébergement fourni par les employeurs aux travailleurs québécois.
Pour que cessent les abus et les mauvais traitements dont les travailleurs étrangers sont l’objet, les permis fermés devraient être abolis et remplacés par des permis ouverts liés à un secteur d’activité et possiblement à une région. Ces changements essentiels dépendent malheureusement de la bonne volonté du gouvernement fédéral. C’est Québec qui devrait se charger des travailleurs étrangers temporaires sur notre territoire, ce que prévoyait l’entente Canada-Québec sur l’immigration. S’assurer du respect de la dignité de tout travailleur en sol québécois, c’est en somme sa responsabilité.