L’école au cœur du débat

La nature a horreur du vide. Et c’est ainsi que, lasses de voir d’essentielles questions d’éducation complètement absentes du débat politique, quatre organisations citoyennes préoccupées par le sort de l’école viennent de lancer une réflexion collective sur la formation des élèves, Parlons éducation. Vaste et ambitieux programme, mais rafraîchissante initiative, qui incitera, espérons-le, le gouvernement à emboîter le pas. Car après tout, l’éducation n’est-elle pas la « priorité des priorités » ?

L’idée d’une commission Parent 2.0, ainsi que l’a appelée le premier allumeur de cette folle idée, notre chroniqueur Normand Baillargeon, chemine depuis plusieurs années dans les esprits engagés de quelques forces vives gravitant autour du réseau de l’éducation. L’invitation est à la fois simple et d’une complexité inouïe : repenser l’école à la lumière des réalités et des enjeux contemporains, refaire le point sur nos échecs et nos grands succès, imaginer l’éducation du futur. Puisque Québec ne met pas en marche cette réflexion nécessaire, des citoyens passionnés ont décidé d’occuper l’espace. Ils proposent de mener le dialogue social ce printemps, avec 18 forums citoyens qui se tiendront dans 17 villes du Québec. Le programme de participation prévoit cette discussion ouverte à tous autour de cinq grands thèmes, allant de la mission de l’école à la démocratisation du système scolaire.

Des petits bijoux de réformes sont nés de ces grands moments de réflexion collective centrés autour de l’école. Évidemment, l’événement fondateur demeure la commission Parent, qui, au sortir des années 1950, a proposé une véritable révolution axée sur la démocratisation et l’accessibilité de l’école. Le gouvernement libéral de Jean Lesage faisait face à un système d’éducation dominé par le religieux, qui n’était ni démocratique, ni inclusif, ni non plus exempt de sexisme. De 1961 à 1966, dans le contexte bouillonnant de la Révolution tranquille, cette commission donna lieu à la mise au monde de notre réseau de l’éducation tel qu’on le connaît avec son ministère, ses polyvalentes, ses cégeps et universités du Québec.

Au milieu des années 1990, un autre sursaut de réforme voit le jour à la faveur des États généraux sur l’éducation. Ce virage, qui devait être axé à la demande générale sur les connaissances fondamentales, capota de manière aussi spectaculaire que lamentable dans une guérilla opposant les savoirs aux « compétences transversales », un concept pédagogique qui ne réussit qu’à opposer les uns aux autres les chercheurs et démobilisa le personnel scolaire. Cette réforme ne passera pas à l’histoire comme un moment charnière positif de la construction de l’école au Québec.

Depuis, plus de 25 ans ont passé. Des politiques et des plans d’action ont émané du ministère de l’Éducation à la faveur des gouvernements qui sont passés à la tête du Québec, et des ministres qui ont eu la charge d’améliorer le sort de l’école — de 2002, où François Legault occupait la tête de ce ministère, jusqu’à aujourd’hui, où son collègue Bernard Drainville y est, 13 ministres s’y sont succédé. Beaucoup de ces actions ont été axées sur une amélioration de la réussite, tant sur le plan individuel — résultats des élèves — qu’institutionnel — performance des écoles. Sur fond de décrochage scolaire, la reddition de comptes s’est invitée dans la tâche, ce qui fait qu’on dénonce aujourd’hui le temps et l’énergie consacrés à plancher sur des formulaires plutôt qu’à instruire les enfants. Dans ce champ, les besoins sont immenses : a-t-on besoin de rappeler que près du tiers des effectifs scolaires primaires sont associés à des besoins particuliers causés par des difficultés ou un handicap ? La classe « ordinaire » est un concept qui n’existe plus, grevée encore davantage par la concurrence des écoles privées et des projets particuliers aspirant les meilleurs effectifs au sein même des écoles publiques.

L’initiative Parlons éducation est audacieuse, car son plan de discussion est très vaste, et il faudra de l’animation fine et organisée pour tirer des lignes directrices de cette consultation. Mais elle vient surtout nous rappeler à quel point ce débat sur l’avenir de l’école est nécessaire. Les récents gouvernements ont dirigé l’école en mode pompier, force est de l’admettre, tant les urgences se sont additionnées. Écoles en ruine, école à trois vitesses, qualité de l’air déficiente dans les classes, multiplication des élèves en difficulté et surtout, surtout, pénurie de personnel enseignant et difficultés de rétention de ceux et celles qui sont en poste. À ce portrait morose ajoutons l’analyse dévastatrice que vient de rendre la vérificatrice générale du Québec, qui a blâmé Québec de ne pas avoir en main le portrait des retards scolaires causés par la pandémie, signe que le ministère de l’Éducation semble naviguer à vue.

Si l’école est la priorité des priorités, alors qu’on en fasse la démonstration concrète. Parlons éducation invite Québec à écouter la parole des citoyens et à replacer l’éducation au centre du débat politique.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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