Couleur de peau et mainmise fédérale
Six associations étudiantes de l’Université Laval s’insurgent contre les exigences d’Ottawa qui empêchent tout étudiant blanc non handicapé d’obtenir un poste au sein d’une Chaire de recherche du Canada (CRC), faisant de la couleur de peau un motif de disqualification.
Répondant à la volonté du gouvernement fédéral, l’Université Laval a lancé d’autres appels de candidatures qui ne sont ouverts qu’à des personnes « s’étant auto-identifiées comme membre d’au moins un des quatre groupes sous-représentés », soit les femmes, les Autochtones, les personnes handicapées et les minorités visibles. Ottawa menace de lui couper les fonds servant à créer des postes de professeurs dans les CRC, parce que l’Université Laval ne respecte pas les quotas fixés d’un océan à l’autre pour l’ensemble des universités canadiennes en vertu d’objectifs d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI).
Comme toutes les universités québécoises, l’Université Laval applique des politiques d’EDI pour l’embauche de ses professeurs, favorisant « à compétence égale » la sélection de professeurs dans des groupes sous-représentés. Pour pourvoir les postes dans les CRC, les autorités fédérales ne tiennent pas compte du bassin d’étudiants ou de la population que dessert l’université. Atteindre les quotas fédéraux est beaucoup plus exigeant pour l’Université Laval que pour des universités à Toronto ou à Vancouver. « Personne ne souhaite devoir appliquer de telles mesures », a affirmé au quotidien Le Soleil le vice-recteur de l’Université Laval et responsable de l’EDI, François Gélineau. « Lorsqu’on a le choix, on utilise les critères habituels, qui sont l’excellence. »
Mais l’université entend continuer de toucher l’argent du fédéral et de chercher à se conformer à des quotas qui ne correspondent pas à sa réalité. Loin d’y voir une question de principe, le vice-recteur fait valoir que les quotas n’ont déterminé que 12 embauches depuis 2017, ou 3 % du total. La stratégie est de faire la carpette en espérant convaincre le gouvernement fédéral de modifier son programme de CRC.
Ces quotas arbitraires imposés par Ottawa, qui pervertissent les actions de l’université en faveur d’une juste application des objectifs d’EDI, soulèvent des questions de principe qu’on ne saurait occulter.
En premier lieu, c’est faire peu de cas de l’autonomie dont se réclament les universités québécoises. N’a-t-on pas adopté l’an dernier la Loi sur la liberté académique dans le milieu universitaire, qui affirme que l’autonomie des universités est une des conditions essentielles à l’accomplissement de leur mission ? Voilà que l’Université Laval accepte de se voir dicter les critères d’embauche de ses professeurs.
Il faut aussi rappeler que le programme des chaires de recherche est le moyen par excellence déployé par Ottawa pour s’ingérer dans l’enseignement supérieur, une compétence exclusive du Québec, et exercer une influence durable sur son intelligentsia.
Dans l’affaire de l’historien Frédéric Bastien, cet « homme blanc médiocre », selon les mots de la professeure de l’Université Laval Sule Tomkinson, qui n’a pu présenter sa candidature pour une CRC sur l’histoire du Québec et du Canada, la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, avait affirmé en décembre qu’une telle discrimination était « inadmissible ». Depuis, l’inadmissible se perpétue.