RCR a fait son temps

Aux dernières nouvelles, l’incertitude pesait toujours sur la relance de la saison de ski alpin au Mont-Sainte-Anne, compromise depuis près de deux semaines à la suite de la chute inadmissible d’une télécabine. L’enquête menée par la Régie du bâtiment du Québec (RBQ) commence à peine, tandis que l’exploitant de la station prépare les pentes en vue d’une réouverture que les skieurs et commerçants espèrent tel un cadeau sous le sapin de Noël.

Les commerçants et hôteliers de la région sont pris d’inquiétude. Ils anticipaient un taux d’occupation des chambres de 90 % pour la période des Fêtes, alors qu’il est tombé à environ 60 % . Si la montagne ne recommence pas à accueillir des skieurs d’ici peu, ce sera la catastrophe pour l’économie de la région de La Côte-de-Beaupré. L’ouverture de la pente-école et des pistes de raquettes, de ski de fond et de vélo hivernal sont des arguments limités pour que Sainte-Anne conserve son attrait immédiat.

Les élus locaux dénoncent dans Le Soleil la « campagne de peur » de certains groupes d’intérêts (non identifiés) qui fragiliseraient la région en plus de paralyser l’économie locale. Le préfet de la MRC de La Côte-de-Beaupré, Pierre Lefrançois, souligne l’importance « de consommer local et de visiter la région du Mont-Saint-Anne ». Le maire de Beaupré, Pierre Renaud, tient un discours analogue, en invitant la population à ne pas « diaboliser » l’exploitant albertain de la station, Resort of the Canadian Rockies (RCR), ou de partir à la chasse aux coupables.

Dans une lettre ouverte au Soleil, une vingtaine d’entrepreneurs et de commerçants lancent aussi un cri du coeur. Fragilisés par deux ans de pandémie, ils encaissent la fermeture provisoire du Mont-Sainte-Anne comme un coup de poing. Ils invitent les acteurs locaux à s’unir derrière un message positif, tout en demandant aux associations représentatives en tourisme et en hôtellerie, de même qu’aux élus municipaux et provinciaux, des mesures concrètes de soutien. Le ministère du Tourisme et ses partenaires ont promis des offensives publicitaires pour mousser l’attractivité de Sainte-Anne.

Ces discours témoignent de la détresse économique qui s’empare de la région de La Côte-de-Beaupré. Seulement, les élites locales rêvent en couleur si elles s’imaginent que les touristes vont gober leurs belles histoires de solidarité. Elles se contentent de peu, soit de jouer le rôle de simples courroies des intérêts d’entreprise de RCR. Qui voudra monter dans ces télécabines d’une fiabilité incertaine ? Heureusement, la chute d’une télécabine, survenue le 10 décembre dernier, s’est produite avant l’ouverture de la remontée. Il y aurait eu des blessés graves, voire des morts, si l’incident était survenu quelques minutes plus tard, alors que les skieurs enthousiastes s’apprêtaient à monter à bord des télécabines.

La RBQ ne peut pas prendre la situation à la légère. Elle doit faire passer la sécurité du public avant les impératifs économiques de la région, d’autant plus que le Mont-Sainte-Anne est dans sa mire depuis un bon moment. Depuis 2015, la RBQ a formulé plus de 25 avis de correction en lien avec les remontées mécaniques de la station. Une inspection n’est pas une fatalité sans issue. Tôt ou tard, les remontées mécaniques retrouveront leur élan. Même si les télécabines devaient rester à l’arrêt, les remontées aériennes suffiraient à répondre à la demande des skieurs, non sans inconvénient et délais d’attente.

Le plus grave dans le déficit chronique d’entretien et d’investissement de la part de RCR, c’est qu’il a sapé l’image de marque du Mont-Sainte-Anne, au point où il est illusoire de réduire le problème à une campagne de peur d’ennemis réels ou imaginaires, ou de penser que la publicité fera oeuvre de charme.

Pendant que cette montagne unique rétrécissait par le manque d’envergure et de vision de ses propriétaires, son voisin immédiat, Le Massif de Charlevoix, connaissait une expansion remarquable. Que ce soit dans la qualité de l’expérience d’hébergement, du domaine skiable, de l’ajout d’activités récréotouristiques complémentaires, le Mont-Sainte-Anne se fait distancer, malgré tout le potentiel du site. Incidemment, ce dernier est de propriété albertaine alors que le Massif est de propriété québécoise. L’adage « loin des yeux, loin du coeur » résume bien le drame vécu dans la région de La Côte-de-Beaupré.

De là à exiger l’expropriation de RCR, il y a une limite, et le gouvernement Legault a bien fait de fermer la porte à cette possibilité digne d’une « république de bananes », selon l’expression du ministre responsable de la Capitale-Nationale, Jonatan Julien. Toutefois, le gouvernement et les élites locales devraient accentuer la pression sur RCR et faire comprendre à sa direction que la vente des actifs est le seul remède à la rupture du lien de confiance engendré par des années de négligence. Après quoi, et pas avant, nous pourrons discuter collectivement d’une éventuelle aide publique à la relance de la station.

À voir en vidéo