Les bonnes intentions

Au sortir de sa rencontre avec Justin Trudeau, François Legault a fait étalage d’un bel optimisme, se disant « plus confiant » relativement au rehaussement du financement fédéral de la santé.

Parce que le gouvernement fédéral parlerait désormais de « partage de données » plutôt que de « conditions », François Legault s’est dit rassuré. « On chemine dans la bonne direction », a-t-il dit.

On doit se dire la même chose à Ottawa. Les choses vont dans la bonne direction, celle de l’imposition de conditions. D’ailleurs, le premier ministre québécois a reconnu lui-même savoir que le gouvernement fédéral a des discussions avec les gouvernements de l’Ontario et des provinces atlantiques sur les transferts en santé. Cela en dit long sur la solidité du front commun des provinces.

En début de semaine, Justin Trudeau avait été clair dans une entrevue de fin d’année accordée à Rosemary Barton, de la CBC. Il n’a pas l’intention d’injecter de l’argent dans un « système brisé ». Pas de financement additionnel sans conditions. Son ministre de la Santé, Jean-Yves Duclos, tel un gérant d’estrade patenté, a lui aussi cassé du sucre sur « le » système de santé affecté par la « maladie des silos », comme si se gargariser de clichés pouvait guérir la bête.

Ça fait longtemps que le système de santé québécois est affligé de multiples problèmes, que la pandémie n’a fait qu’aggraver. Mais ce qui est nouveau, c’est que les systèmes de santé de provinces comme l’Ontario, l’Alberta et la Colombie-Britannique, jadis exemplaires, du moins si on les comparait avec celui du Québec, connaissent des ratés. En raison des infections respiratoires, leurs hôpitaux pour enfants sont débordés, mais aussi d’autres établissements hospitaliers généraux, aux prises avec les cas de COVID-19 et d’influenza. Bien que la situation soit encore plus critique au Québec, ces réseaux font face à des pénuries de personnel soignant.

Évidemment, il ne viendrait pas à l’idée du gouvernement Trudeau de reconnaître qu’une des causes de ce manque de capacité des réseaux de la santé, en Ontario par exemple, c’est sa politique d’immigration pléthorique. Notre voisin a accueilli près de 200 000 immigrants en 2021, ainsi que des centaines de milliers de travailleurs temporaires et d’étudiants étrangers, une performance appelée à se répéter année après année. Comme tout le monde, ces nouveaux arrivants ont besoin de services de santé. À cela s’ajoute l’effet du vieillissement de la population. Après cela, Doug Ford se demande pourquoi sa province manque de personnel soignant.

Justin Trudeau a raison de dire que s’il versait aux provinces les sommes qu’elles réclament, « il n’y a pas de garantie que les gens attendraient moins longtemps dans les hôpitaux ». À court terme, c’est rigoureusement vrai. Au Québec, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, ne manque pas d’argent pour engager des infirmières. Le problème, c’est que les postes affichés ne sont pas pourvus, faute de candidates.

La réforme qu’a entreprise M. Dubé repose sur la collecte de données, leur informatisation et la transmission des meilleures pratiques. On verra comment le gouvernement Trudeau, qui professe les mêmes objectifs généraux, manifestera sa volonté d’ingérence.

Entre les deux premiers ministres, il a été évidemment question d’immigration et de l’afflux de demandeurs d’asile par le chemin Roxham. Le cas des Salvadoriens Letitia Cruz et Raul, son fils, illustre les situations aberrantes auxquelles conduit le chemin Roxham, que le gouvernement Trudeau a érigé en système. Ces demandeurs d’asile sont au Québec depuis quatre ans. Ils sont établis à Chicoutimi, où ils travaillent et où ils ont appris le français. Récemment, les autorités fédérales ont tranché : ils ne sont pas de véritables réfugiés. Ils ont donc reçu un avis d’expulsion et ils doivent quitter le Canada. Le député conservateur Richard Martel, de la circonscription fédérale de Chicoutimi-Le Fjord, a refusé de les aider. Il a fallu que le député bloquiste de la circonscription voisine, Mario Simard, plaide leur cause auprès du cabinet du ministre fédéral de l’Immigration, Sean Fraser, et l’avis d’expulsion a été révoqué. Ce long processus pour aboutir à une décision forcément inhumaine est inacceptable.

En matière d’immigration, un sujet qui revêt pourtant une importance existentielle pour la nation québécoise, François Legault s’est satisfait des « bonnes intentions » qu’il a perçues chez Justin Trudeau. Le premier ministre québécois, maintenant, « attend l’action ». Il risque d’attendre longtemps.

Alors qu’il amorce son deuxième mandat, François Legault a manifestement choisi de se montrer conciliant et de se contenter de ce que le régime fédéral réserve au Québec. D’aucuns lui reprocheront de baisser les bras, d’autres diront qu’il est plutôt en phase avec notre indolence nationale.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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