Les mollahs assassins
Une première pendaison pour l’exemple, jeudi dernier, celle d’un manifestant, Mohsen Shekari, 23 ans, jugé pour « inimitié à l’égard de Dieu » pour avoir bloqué une rue et blessé un milicien bassidji des Gardiens de la Révolution. D’autres exécutions suivront, forcément, puisque le régime des mollahs pense que, par logique fanatique de répression, la révolte des trois derniers mois pourra être écrasée.
C’est un régime assassin qui dispose de moyens sans commune mesure avec ceux des manifestants, armés du seul slogan « Femme, vie, liberté ! ». Sauf que, près de 20 000 arrestations et plus de 500 morts plus tard, pour moitié parmi les minorités kurdes et baloutches, les manifestants ne se sont pas tus. Qu’on les fasse taire, et leur voix trouvera moyen de porter encore.
L’appel à la grève générale lancée pour trois jours aura été largement suivi la semaine dernière en Iran. C’est inédit. Bazars, commerces et bureaux ont fermé à Téhéran et dans une cinquantaine d’autres villes du pays. Il y a des signes qui ne mentent pas : les ouvriers de l’usine pétrochimique de Mahchahr se sont notablement ralliés, ce qui revêt une portée symbolique non négligeable, en considérant qu’en 1978, la grande grève dans les usines pétrochimiques avait joué un rôle prépondérant dans la chute du chah Reza Pahlavi, au début de l’année suivante. C’est le signe que le mouvement parti des universités après la mort, le 16 septembre, de Mahsa Amini, 22 ans, arrêtée pour un voile jugé « mal porté », est l’expression d’une colère élargie — une colère qui couve en fait depuis vingt ans — face à l’échec d’une théocratie qui n’a su que paupériser et museler.
L’annonce ambiguë, il y a une dizaine de jours, de l’abolition de la police des moeurs a vite été démasquée par la société civile pour ce qu’elle était : une pseudo-concession — qui n’annule pas de toute façon l’obligation du port du voile — destinée à confondre l’opposition.
« Chaque fois que, dans un autobus, un corps féminin frôle un corps masculin, une secousse fait vaciller l’édifice de notre révolution », déclarait l’ayatollah Ruhollah Khomeini après avoir imposé, le chah tout juste renversé, l’obligation du port du voile en 1979. C’est l’édifice de cet emmurement idéologique et religieux qui se fissure aujourd’hui sous l’impact d’un ras-le-bol au départ féministe.
Il y a eu l’occidentalisation à marche forcée — et donc anti-voile — postulée sous la dictature pro américaine du chah. Il y a aujourd’hui l’aveuglante islamisation imposée par le régime actuel. De l’un à l’autre, on ne perd pas de vue que les raisons de la colère du peuple iranien — corruption, répression, inégalités — sont les mêmes.
La théocratie récolte ainsi le fruit de ses contradictions. En 1984, une loi votée au Parlement stipulait que les femmes non voilées s’exposaient à 72 coups de fouet, en même temps qu’elles étaient autorisées à poursuivre des études et à entrer sur le marché du travail. Il y avait une raison économique à cet arrangement : la guerre Iran-Irak des années 1980, dans laquelle disparaissait toute une génération de jeunes hommes. Résultat : le taux de scolarisation des filles a fortement progressé, facteur, comme dans toute société, de conscientisation.
Le régime a bien jeté du lest sous Mohammad Khatami (1997-2005) et Hassan Rohani (2013-2021), deux présidents dits réformateurs. Entre les deux, il a resserré la vis idéologique avec l’élection de Mahmoud Ahmadinejad, sous lequel a été créée en 2005 cette police des moeurs, avant d’imposer carrément celle, en 2021, de l’ultraconservateur Ebrahim Raïssi, arrivé au pouvoir en faisant aussitôt adopter une loi plus régressive que jamais « sur le hidjab et la chasteté ». Raïssi a agi comme un accélérant sur la désespérance collective : sur fond de déroute économique, il incarne un establishment religieux, irréformable et illégitime, qui ne se donne même plus la peine de sauver les apparences d’un certain pluralisme.
Vrai que le régime donne des signes de dissensions internes et que des voix réformistes, comme celle de Khatami, se sont manifestées. L’implacable répression est en effet un signe de fragilité. À la différence de la révolution qui a emporté le chah, le mouvement d’opposition actuel ne dispose cependant pas de figure de leadership. Les dynamiques à l’oeuvre accréditent en fait la thèse d’une inexorable militarisation du pouvoir à la faveur des Gardiens de la Révolution, cet État dans l’État qui, tenant les leviers de l’économie, attendrait la mort du guide suprême Ali Khamenei pour reconfigurer le pouvoir à son avantage.
En ouvrant la porte à la levée des sanctions et à la réintégration géopolitique de l’Iran, l’accord international sur le nucléaire iranien conclu en 2015 se trouvait à donner un coup de main aux forces réformistes. Cet espoir, si fragile soit-il, a été anéanti en 2018 par la décision de Donald Trump, aligné sur Israël, de récuser l’accord. À renouer avec une politique d’endiguement, il a accepté que les Iraniens soient laissés à eux-mêmes.