L’arbre qui cache la forêt
Il n’y a pas de quoi pavoiser. Alors que la COP15 bat son plein à Montréal, et qu’on espère un accord de protection mondiale de la biodiversité qui ne sera pas trop fluet, on apprend que le Canada côtoie le Brésil et la Russie au palmarès des pays ayant le plus sabré la biodiversité unique de leurs forêts en raison de l’exploitation industrielle de ces milieux. Une performance dont on n’a pas à se vanter.
Le Devoir rapportait cette semaine que l’organisme américain National Resources Defence Council (NRDC) a donné les pires notes à ce trio de cancres. Le Canada arrive bon troisième, après le Brésil (destructeur éhonté de la forêt amazonienne) et la Russie (la forêt russe représente un cinquième de la forêt mondiale, mais on y sacrifie de précieux hectares au profit de l’extraction de gaz, de pétrole et d’or ainsi que de l’exploitation forestière).
Ce n’est pas un hasard si ces mauvais élèves détenaient à eux seuls, en 2020, 65 % de l’étendue forestière encore intacte sur la planète, avec des richesses spectaculaires en biodiversité observées autant en territoire boréal que tropical.
Hélas, trois fois hélas ! Comme si ce vaste territoire leur donnait l’impression qu’ils en avaient davantage à gaspiller, les trois compères sont ceux qui ont le plus réduit la zone forestière intouchée entre 2000 et 2020. Les forêts sont pourtant des agents majeurs de lutte contre les changements climatiques, et la dégradation de ces densités forestières majeures attaque directement le principe de captation du carbone émis par l’humain — d’ailleurs deux fois plus importante dans les forêts boréales canadiennes que dans les forêts tropicales.
Encore une fois, c’est la planète qui perd au change.
Ce type de rappel à l’ordre fait vif contraste avec l’image de joueur exemplaire que le Canada se flatte d’avoir comme pays hôte de cette conférence des Nations unies. En matière de protection de l’environnement — et ici, plus particulièrement, de biodiversité —, la valse des superlatifs prend parfois le pas sur la réalité du terrain. Pendant que les experts et les scientifiques crient à la perte de la Terre, les politiciens font parade de promesses et de millions, ne montrant que la face lumineuse de leurs bilans.
Du côté québécois, la protection des forêts contre l’appétit de l’industrie viendrait par défaut aider à la sauvegarde du caribou forestier, au sujet duquel Québec et Ottawa négocient encore les termes d’une entente qui doit devenir réalité d’ici juin prochain. Au micro de Tout un matin, à Radio-Canada, le ministre de l’Environnement du Canada, Steven Guilbeault, n’a pas pu dire cette semaine qu’il était entièrement satisfait de l’état de ces négociations. Les deux gouvernements se sont livré un véritable bras de fer sur le sort du caribou forestier, dont plusieurs hardes subissent au Québec d’importants déclins et dont la population totale n’est désormais plus que de quelques milliers d’individus.
En annonçant cette semaine un plan de protection de la biodiversité sur lequel, en toute franchise, on ne doit pas cracher, Québec avait une belle occasion d’inscrire en priorité des mesures de sauvegarde du caribou forestier. Ce que le ministre de l’Environnement Benoit Charette n’a pas fait, à la surprise générale.
Le gouvernement fédéral classe l’animal comme une espèce menacée, tandis que Québec le maintient au statut d’espèce « vulnérable », ce qui diminue l’urgence d’agir. Le gouvernement québécois ne pourra pourtant pas tergiverser encore très longtemps, car l’entente-cadre qu’il a conclue avec Ottawa en août dernier prévoit des mesures additionnelles qui feront augmenter le seuil de protection de l’habitat du caribou au Québec — il est actuellement de 35 %, mais il doit passer à 65 %. Cette entente est survenue tout juste après la publication du rapport de la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards qui soulignait sans détour « l’urgence d’agir » pour protéger les espèces menacées. Elle propose notamment des mesures de protection des grands massifs de forêts matures.
Les Innus, qui ont pressé Ottawa et Québec d’accélérer la cadence dans ce dossier, doivent aussi participer aux négociations des prochains mois. C’était d’ailleurs vendredi à la COP15 une journée importante pour les peuples autochtones du monde entier, qui sont venus clamer l’importance de la protection de leurs territoires, mais aussi la nécessité de les inclure dans les discussions — ce qui est, en effet, absolument capital. Au Québec, le déclin du caribou forestier, menacé par l’exploitation forestière, vient fragiliser la culture innue, dans laquelle l’animal joue un rôle central sacré.
Au-delà des parades officielles, le Canada comme le Québec tiennent l’occasion d’agir prestement en protégeant leurs forêts des velléités d’exploitation. Le jeu en vaut sérieusement la chandelle.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.