L’examen de la discorde

Dans son très sage et percutant rapport sur la situation et l’avenir de la langue française, la commission Larose avait jadis recommandé un « examen national uniforme » pour « sanctionner la connaissance du français de tous les futurs enseignants du réseau de langue française ». Cette suggestion, mise en oeuvre ensuite, suivait un catastrophique bilan : le fait que « plus de la moitié des futurs enseignants ont une connaissance nettement insuffisante de la langue française ».

C’était en 2001. Après cela, nombreux furent les ministres de l’Éducation qui ont tenté de trouver une solution à ce lancinant problème : comment faire en sorte que les futurs enseignants, personnages clés dans l’apprentissage d’un français de qualité chez les élèves québécois, soient eux-mêmes outillés pour bien maîtriser la matière à enseigner ? Vingt ans plus tard, on se creuse toujours la tête pour répondre à cette question.

Le sujet est donc, hélas, encore d’une brûlante actualité. Mais le contexte dans lequel se pose le problème de la piètre qualité du français des futurs maîtres est totalement différent de celui qu’il était il y a vingt ans. Une grave pénurie de personnel enseignant force en effet le ministère de l’Éducation à effectuer maintes cabrioles depuis quelques années pour faciliter l’accès au brevet d’enseignement, réputé laborieux. Derrière chacune des interventions, un lobby inquiet se dresse, avec raison : la qualité de l’enseignement sera-t-elle diminuée ? Dans l’urgence, ne risque-t-on pas de niveler vers le bas ?

Comme vient de le révéler Le Journal de Québec, dans certaines universités québécoises, des étudiants recalés au test de français obligatoire habituellement dispensé pendant la troisième année du baccalauréat doivent reporter la suite de leur formation, le temps de réussir le fameux examen. Les chiffres sont préoccupants, car ils visent un étudiant sur cinq. Cette mise à l’arrêt dérange. Des étudiants interrogés par la journaliste Daphnée Dion-Viens n’y voient qu’une aberration dans un contexte où des enseignants manquent à l’appel dans les classes. Rappelons qu’au moins 700 profs n’étaient toujours pas recrutés lors du premier jour de rentrée cette année.

Dans certaines universités, les taux de réussite des futurs maîtres à leur premier essai sont navrants : 21 %, 33 %, 44 %, mais sur une note positive, 75 % dans une institution. La tentation serait grande de masquer le catastrophisme de ces notes en attaquant la trop grande difficulté desdits tests. Retournons aux sources : dans la foulée du rapport Larose, les facultés d’éducation de l’ensemble des universités du Québec s’étaient concertées au début des années 2000 pour composer un examen destiné à valider le niveau de français avant le passage aux stages, moment charnière dans la formation des enseignants. À l’époque, l’objectif était donc sans contredit d’élever le niveau avec un test au caractère très exigeant et carrément éliminatoire. Irait-on maintenant bâtir des examens guimauve laissant passer les cancres au seul prétexte que le marché ne produirait pas suffisamment d’enseignants et que la profession ne retiendrait pas assez longtemps ses candidats ? Quel immense danger !

Ça ne serait pas cohérent avec la mission de l’école, dont la langue — et une langue de qualité — est inscrite dans les savoirs essentiels et constitue la porte d’entrée à l’ensemble des autres apprentissages. Ça ne serait pas respectueux de la ligne directrice que s’est donnée le gouvernement de François Legault, en faisant de la protection du français un des axes majeurs de son premier mandat, prélude, affirme-t-il, à la poursuite en deuxième mandat d’une consolidation des premières bases jetées en quatre ans. Ce ne serait pas non plus logique, pour un gouvernement qui a fait de l’éducation sa priorité, d’accepter de fermer les yeux sur une exigence aussi capitale que la qualité du français.

Cela étant dit, comment s’attaquer au problème ? Nulle baguette magique ne viendra régler un enjeu dont les racines se trouvent, ironiquement ou tristement, dans l’enseignement du français à l’école. Il ne devrait pas être si étonnant que des étudiants de niveau universitaire échouent à un test destiné à mesurer leur niveau de français quand on sait que le réseau, de niveau en niveau, fait office de passoire, laissant cheminer d’une année à l’autre des élèves et étudiants n’ayant pas atteint le niveau minimal de qualité. C’est un cercle très vicieux.

La réponse ne doit donc pas passer par une baisse des exigences du test ou de la note de passage, ni non plus préconiser le retour à une formule éprouvée jadis de reprises infinies du test, jusqu’à un résultat satisfaisant. La réussite de cet examen doit passer par une solide préparation au test, au sein même de l’université, ainsi que par des séances de récupération destinées à parfaire la maîtrise du français avant l’examen de reprise. La valorisation du français est un ensemble complexe auquel on ne peut rien sacrifier tant le matériau est fragile. L’examen de français pour les futurs enseignants en est un maillon essentiel.

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