Impasse fédérale en immigration

D’ici la fin de la campagne électorale, l’équipe éditoriale du Devoir proposera une analyse des principaux engagements des partis politiques sur des thématiques qui interpellent l’ensemble des Québécois. Aujourd’hui : l’immigration.

Pour la plus grande partie de la campagne électorale, le débat sur l’immigration s’est limité à une affaire de seuils dans l’accueil des nouveaux arrivants. Les propos malencontreux du chef caquiste, François Legault, qui a présenté l’immigration comme une menace à la paix sociale, avant de s’excuser, ont inutilement teinté les discussions.

Pour le premier ministre sortant, il aurait été si simple de s’élever au-dessus de la mêlée et de rappeler, sans sacrifier la protection de la nation québécoise, que le Québec est une terre d’accueil riche de sa diversité et de ses métissages culturels. Ses maladresses font en sorte que les positions raisonnées et les réalisations de la Coalition avenir Québec (CAQ) en matière d’immigration attirent la suspicion.

La CAQ propose entre autres d’accueillir 50 000 immigrants par année et d’exiger qu’une plus grande proportion de ceux-ci parlent déjà le français à leur arrivée. M. Legault en fait une condition essentielle pour assurer l’avenir du français au Québec, car il y a des limites à la vélocité de l’intégration des immigrants au tissu et à la culture francophones. Son gouvernement a doublé les budgets alloués à la francisation pour les faire passer à 168 millions de dollars par année, une excellente initiative qui souffre des inégalités dans la qualité et l’accessibilité de la formation. L’État québécois ne sait même pas combien d’entreprises participent aux cours de francisation. Les incohérences sont nombreuses, comme en témoigne le cas récent du programme de francisation exemplaire de Peerless, dont le financement a été retiré, puis reconduit à la suite d’un reportage du Devoir.

Il est à souhaiter que la création de Francisation Québec puisse servir à améliorer le bilan. Le Québec peut et doit faire mieux en matière d’intégration et de francisation si nous souhaitons aborder le débat sur l’immigration au-delà de l’insécurité linguistique.

Le Parti québécois (PQ) envisage aussi les seuils d’immigration à l’enseigne de la pérennité du fait français. Son chef, Paul St-Pierre Plamondon, ramène la cible à 35 000 immigrants par année et exige une connaissance du français de tous les immigrants économiques avant leur arrivée. Il est le seul, avec François Legault, à lier immigration et pérennité du français sans passer par le raccourci illusoire de la pénurie de main-d’oeuvre.

Le Parti conservateur du Québec (PCQ) rejoint le PQ sur les affres du multiculturalisme, mais il le dépasse par la droite en proposant de sélectionner les immigrants en fonction d’une « compatibilité civilisationnelle » (adhésion aux valeurs occidentales et capacité d’intégration). Cette nostalgie pour une cohésion sociale fantasmée est enrobée dans un épouvantable déterminisme qui fait fi des capacités d’intégration et d’adaptation de l’être humain.

À l’autre extrémité du spectre, Québec solidaire (QS) fixe la cible maximale à 80 000 immigrants par année, sans trop s’inquiéter des conséquences. Le co-porte-parole de QS, Gabriel Nadeau-Dubois, a l’heureuse idée de proposer une bonification additionnelle des budgets de francisation (à 230 millions par année) et de vouloir faire découvrir la culture québécoise aux nouveaux arrivants par un « billet culture » de 200 $ par année. La mesure peut sembler anodine, mais elle a le mérite d’offrir une main tendue.

Le Parti libéral du Québec (PLQ) mise sur son habituelle approche débonnaire en matière d’immigration, dans le prolongement de son positionnement historique en faveur des droits des minorités. Dominique Anglade ne souffre d’aucune insécurité linguistique. Son invitation à « arrêter de diviser » et de présenter l’immigration comme « un problème et une menace » est apaisante en comparaison des amalgames douteux de M. Legault. Elle fait toutefois l’impasse sur les solutions nécessaires pour faciliter le transfert linguistique des nouveaux arrivants vers le français. Elle évoque sans trop de conviction la francisation et la régionalisation de l’immigration, qu’elle présente comme une solution à la pénurie de main-d’oeuvre (tout comme Québec solidaire). Cette relation de causalité entre immigration et emploi ne fait pas l’unanimité.

À force de traiter de la question de l’immigration à partir des capacités d’accueil du Québec, nous avons tendance à oublier que le réel problème se situe à Ottawa, où loge un premier ministre postnational qui embrasse un projet de croissance démographique basé sur l’apport migratoire. Les libéraux de Justin Trudeau ne respectent pas l’entente Canada-Québec sur l’immigration. Le processus migratoire fédéral désavantage les francophones, notamment chez les étudiants étrangers. Toutes les actions du fédéral en matière d’immigration nous portent à conclure qu’il ne se soucie pas du déclin du poids démographique des francophones au Québec et au Canada.

Le rapatriement des pleins pouvoirs en immigration est la mesure qui compte le plus, mais aucune des formations ne sera en position de réussir ce tour de force. Tel est notre véritable drame en matière d’immigration.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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