De sommets à solutions
Été d’événements climatiques extrêmes partout sur la planète, sur fond de crise énergétique déclenchée par l’agression russe en Ukraine. Sécheresse et inondations en Europe et en Amérique du Nord, canicules records en Asie du Sud… La semaine dernière à la une, la Chine, premier émetteur mondial de GES, où sévit depuis la mi-juin une sécheresse exceptionnelle qui risque de se prolonger en septembre. Est-il besoin de resurligner, à trois mois de la COP27 qui se tiendra en Égypte, que l’urgence d’agir ne peut pas être escamotée ?
Du Shaanxi au nord au Guangdong au sud, des centaines de millions de Chinois étouffent sous une chaleur inégalée depuis qu’on a commencé à enregistrer des données, en 1961. Les niveaux d’eau du Yangtsé et de douzaines d’affluents ont radicalement chuté, compromettant l’essentielle production hydroélectrique. Le correspondant du Monde à Pékin relève que, dans la province du Jiangxi, le lac Poyang, le plus grand lac d’eau douce du pays, a perdu les trois quarts de sa surface. Avec le résultat que des mesures d’urgence de conservation de l’eau sont mises en place pour sauver les récoltes d’automne, dont les autorités reconnaissent qu’elles sont « gravement menacées ». Et que, pour suppléer les pertes en hydroélectricité et limiter les coupures de courant, la polluante production de charbon a été réactivée, comme elle l’avait été il y a un an.
Situation compliquée pour l’impérial président Xi Jinping à quelques mois du XXe congrès du Parti communiste, d’autant plus que la sécheresse se superpose à la crise immobilière que traverse le pays et aux mauvais fonctionnements économiques liés aux confinements massifs induits par la politique sanitaire « zéro COVID ». Le cercle peut difficilement être plus vicieux, comme la Chine a un rôle crucial à jouer dans la déconstruction de la dépendance de l’économie mondiale aux énergies fossiles. Ce n’est pas le moment de voir Pékin reculer dans la « bataille pour le ciel bleu » lancée par Xi en 2017.
L’année dernière, à Glasgow en Écosse, les gouvernements du monde entier, réunis pour la Conférence des Nations unies sur le climat (COP26), se sont nommément engagés, pour la toute première fois, à s’attaquer aux énergies fossiles, responsables de 90 % des émissions de GES. Il était temps. Accord fragile et insuffisant, grevé notamment par la procrastination des riches quant à leurs responsabilités face aux pays en développement, mais entente en demi-teinte par laquelle on s’entendait enfin pour faire des pas concrets pour limiter à 1,5 degré Celsius la hausse des températures depuis l’ère préindustrielle.
Il n’y a pas lieu pour l’heure de penser que Pékin, aujourd’hui premier exportateur de véhicules électriques, soit en train de freiner ses investissements à grande échelle dans les énergies renouvelables — malgré ses problèmes intérieurs, ses rapports avec la Russie et sa décision de rompre son accord de coopération sur le climat avec Washington après la visite à Taïwan de la leader démocrate Nancy Pelosi.
Et l’on sait par ailleurs gré à Joe Biden et aux démocrates au Congrès d’avoir surmonté l’aveuglement républicain et relancé les efforts de transition écologique avec la récente adoption de la loi environnementale la plus ambitieuse jamais votée aux États-Unis, deuxième émetteur mondial de GES. Loi certes incomplète pour cause de marchandage forcé avec le sénateur Joe Manchin, mais aux antipodes du saccage des normes écologiques commis sous Donald Trump.
Reste, à l’horizon crucial de 2030, à passer à l’action de façon radicalement décisive, volontaire et coordonnée lors de la COP27, qui se déroulera en novembre dans la ville balnéaire égyptienne de Charm el-Cheikh. « Exécution, exécution, exécution », répète la sommité britannique Rachel Kyte, experte du développement durable dans une entrevue au Guardian.
La brutalité des bouleversements géopolitiques provoqués par la guerre en Ukraine chavire les consciences et les réveille, y compris au regard de la transition écologique. Si l’industrie pétrolière et gazière fait ses choux gras de la guerre, l’utilisation par Vladimir Poutine des énergies fossiles à des fins de domination stratégique et militaire soulève des enjeux fondamentaux de sécurité nationale et d’indépendance énergétique. L’évolution du monde est fatalement pétrie de défis et de contradictions. Il n’y a qu’à voir, par exemple, le chancelier allemand, Olaf Scholz, courir la planète à la recherche d’approvisionnements en gaz naturel, s’agissant, d’ici l’hiver, de prémunir l’Allemagne contre le chantage de Poutine, tout en signant à long terme avec le Canada une entente sur l’hydrogène vert. « J’espère qu’il est maintenant clair qu’investir dans les renouvelables est aussi [pour un pays] un investissement dans son indépendance politique », disait l’année dernière Tina Stege, envoyée des Îles Marshall à Glasgow. La guerre en Ukraine nous met tragiquement les points sur les i.