De l’Ukraine à Taïwan

C’est sur un fond de tensions renouvelées entre la Chine et les États-Unis que la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a amorcé lundi une tournée dans les pays asiatiques. Une visite probable à Taïwan pourrait envenimer les relations entre les superpuissances.

La délégation du Congrès dirigée par Mme Pelosi visitera Singapour, la Malaisie, la Corée du Sud et le Japon, dans le but de promouvoir et de renforcer les valeurs et intérêts communs des États-Unis avec ses partenaires asiatiques.

L’élue démocrate laisse planer le doute sur la possibilité de visiter Taïwan ou pas, suscitant l’irritation du régime de Xi. Le président des États-Unis, Joe Biden, marche sur des œufs. Il a reconnu que l’armée déconseillait cette visite, mais il s’est abstenu de faire pression directement sur Nancy Pelosi par égards à l’indépendance du Congrès. Washington s’attend à ce que Mme Pelosi rencontre la présidente taïwanaise, Tsai Ing-wen, dans la journée de mercredi.

Cette visite est suffisamment dérangeante pour avoir fait l’objet d’un appel marathon, jeudi dernier, entre le président Biden et son homologue chinois, Xi Jinping. Ce dernier a prévenu Washington que ceux qui jouent avec le feu périront par le feu.

La Chine, qui considère Taïwan comme une partie non réunifiée de son territoire, a promis des contre-mesures « fermes et énergiques » pour préserver sa souveraineté et son intégrité territoriale. Les experts se perdent en conjectures sur la nature de cette réponse, mais ils s’entendent pour dire que Pékin ne risquera pas un affrontement militaire direct avec les États-Unis.

C’est tout ce dont le monde, en proie à une guerre sans précédent en Ukraine, avait besoin : un accroissement des tensions entre deux superpuissances qui devront nécessairement trouver des voies de passage pour maintenir la paix et la stabilité dans le monde. La Chine et les États-Unis sont à la fois interdépendants en matière économique et commerciale, et concurrents dans le grand jeu de l’influence géostratégique.

Depuis le début du conflit en Ukraine, le régime de Xi s’est montré plus pugnace dans ses initiatives pour miner la réputation des États-Unis comme agent de stabilité en Asie-Pacifique et dans le reste du monde. Le soutien inconditionnel de la Chine à la Russie, en dépit des atrocités commises par l’armée russe dans la guerre en Ukraine, est en soi révélateur de l’attitude de la Chine.

Dans le magazine Foreign Affairs, les auteurs Bonny Lin et Jude Blanchette font état des craintes de Pékin quant au schisme entre les nations démocratiques et les régimes autoritaires comme la Chine et la Russie. Le renforcement de l’OTAN, en soutien à l’Ukraine, est perçu comme un prélude à une reconfiguration des alliances militaires, économiques et technologiques entre les États-Unis et les pays d’Asie-Pacifique. L’île de Taïwan, outre son positionnement géographique stratégique dans la mer de Chine, est aussi le premier producteur mondial des semi-conducteurs d’avant-garde sans lesquels nos objets connectés et notre monde numérique tomberaient en déroute.

Dans l’état actuel des choses, les chances d’une désescalade sont minces. Nancy Pelosi, farouche défenderesse des droits de la personne en Chine tout au long de sa carrière, ne voudra pas reculer. Washington ne voudra pas donner l’impression que la Chine dicte désormais, sous le coup de la menace, la nature et l’étendue des relations que les États-Unis peuvent entretenir avec les régimes démocratiques d’Asie-Pacifique.

Pour sa part, le président Xi, qui a promis la réunification de Taïwan sans préciser l’échéancier, ne voudra pas perdre la face à l’approche du congrès du Parti communiste chinois, au cours duquel il s’attend à obtenir un troisième mandat de cinq ans comme secrétaire général. Il s’agirait d’un précédent dans le régime communiste chinois, au sein duquel les dirigeants sont choisis pour deux mandats de cinq ans seulement. Sa gestion de la COVID-19 de même que sa grande tolérance à la boucherie de Vladimir Poutine en Ukraine lui vaudraient d’immenses critiques si le peuple avait encore la capacité de s’exprimer librement.

À court terme, il est à peu près acquis que cette visite entraînera des représailles et un accroissement des tensions. À moyen terme, souhaitons que les leaders du monde retrouvent le sens de notre dessein commun. Les escarmouches, guerres et conflits à travers le globe donnent des impressions de déjà-vu. Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, lançait un cri d’alarme lundi, lors de l’ouverture d’une conférence réunissant les 191 pays signataires du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. L’humanité n’est qu’à « un malentendu de l’anéantissement nucléaire », a-t-il averti. De l’Ukraine à Taïwan, souhaitons que les voix raisonnées de la diplomatie et du dialogue puissent se faire entendre. À défaut de l’utopique paix dans le monde, peut-on espérer au moins que les leaders politiques contribueront à l’apaisement des tensions ?

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