La croix et la bannière
Jusqu’à tout récemment, le gouvernement caquiste refusait de reconnaître l’existence même d’une crise du logement. En avril dernier, la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, Andrée Laforest, a finalement admis la réalité. Il en devenait proprement gênant de continuer à nier l’évidence.
Selon les données toutes fraîches de l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ), il manque environ 100 000 habitations dans l’ensemble du Québec. Un peu plus de 37 000 ménages à faibles revenus sont en attente d’un HLM ou d’un supplément au loyer, tandis que le déficit en logements locatifs privés est de 15 000. En outre, il existe une rareté de propriétés à vendre — il en manquerait 58 000 —, ce qui explique la surchauffe du marché immobilier résidentiel. Cette rareté empêche de nombreux ménages d’accéder à la propriété, un phénomène qui, par un effet domino, réduit le nombre de logements locatifs qui se libèrent.
Pour mettre ces chiffres en perspective, le gouvernement Legault avait promis de construire 15 000 logements sociaux ou abordables afin de remplir un engagement que le gouvernement libéral n’avait pas respecté. Après quatre ans, le rattrapage n’a représenté que 8000 logements, ou un modeste 2000 logements par an.
Frappant jadis les centres urbains d’importance, la crise du logement ne se limite plus à Montréal ou à Québec ; elle s’est étendue à plusieurs municipalités comme Drummondville, Trois-Rivières, Victoriaville, Granby, Gatineau, et même jusqu’à Rimouski et Gaspé.
Les temps sont durs pour les locataires qui peinent à trouver un logement convenant à leurs besoins. Ces dernières années, des requins de l’immobilier ont émergé pour procéder à des « flips », ces reventes rapides, et à des « rénovictions » frauduleuses ou à la limite de la légalité ou de la décence, jetant à la rue des locataires mal informés de leurs droits ou encore incapables de résister aux harassantes pressions de propriétaires cupides. Comme l’ont révélé plusieurs reportages du Devoir, ces propriétaires utilisent maintes tactiques d’éviction, dont l’imposition de hausses de loyer abusives, des changements unilatéraux apportés aux baux et des procédures entamées devant le Tribunal administratif du logement (TAL) qui sont ensuite abandonnées et qui n’auront servi qu’à intimider les locataires. Prétendre vouloir effectuer des rénovations sans les entreprendre pour justifier une hausse de loyer est une pratique illégale, mais répandue, tout comme évincer des locataires pour des rénovations mineures.
Le gouvernement Legault aurait dû y voir. La Ville de Montréal a réclamé des changements au Code civil pour empêcher un propriétaire d’expulser des locataires afin de subdiviser un logement, de l’agrandir ou d’en changer l’affectation. Selon des experts interrogés par Le Devoir, le Code civil contient diverses dispositions dans le but de protéger les locataires, mais les propriétaires en tiennent rarement compte puisque les locataires n’exercent pas leur droit. C’est pourquoi le gouvernement devrait mettre en place des mesures de contrôle relativement à ce type de comportement au lieu de s’en tenir aux plaintes acheminées au TAL. De même, les dommages réclamés par le TAL, après de fastidieuses démarches entreprises par les locataires, ne sont pas dissuasifs, font remarquer les experts. Pour les propriétaires rapaces, ce n’est qu’un coût qu’ils absorbent en le portant aux profits et pertes.
Le logement est un besoin essentiel, mais il est devenu un objet de spéculation. Avec les taux d’intérêt qui grimpent et un marché immobilier à son sommet, cet eldorado pourrait se tarir et les profiteurs se casser les dents. Toutefois, la reprise des locations à court terme, comme Airbnb, mais aussi l’afflux d’étudiants et de travailleurs étrangers continueront à exercer une pression sur le marché locatif à Montréal. À l’extérieur de la métropole, ce sont les travailleurs, venus combler les pénuries de main-d’oeuvre, qui changent la donne.
Le ministre des Finances, Eric Girard, répète qu’il faut augmenter l’offre de logements. Il n’a pas tort, mais ce ne sera pas suffisant. L’an dernier, la construction résidentielle a connu une année exceptionnelle au Québec avec l’ajout de 35 000 logements locatifs sur un total de 68 000 nouvelles habitations, un nombre annuel qui varie habituellement entre 45 000 et 50 000. Or, en une seule année, les coûts ont bondi de 35 % : hausse des prix des matériaux, pénurie de main-d’oeuvre et, maintenant, augmentation des taux d’intérêt. La crise actuelle est celle du logement abordable, car les locataires qui peuvent débourser 2000 $ ou plus par mois pour un 4 et 1/2 n’ont que l’embarras du choix. Mais, après des années de surenchère immobilière, c’est aussi la croix et la bannière pour les premiers acheteurs, incapables qu’ils sont d’accéder à la propriété.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.