L’échec d’Emmanuel Macron, bis
Il n’est pas sans ironie que la coalition rassemblée pour les législatives autour de Macron se soit appelée Ensemble !, alors que jamais peut-être les Français ne l’ont été aussi peu. Mal élu à la présidence, puisque en partie élu par défaut face à la montée de l’extrême droite, Emmanuel Macron se retrouve, à l’issue d’un deuxième tour des législatives qui bouscule tout, privé de majorité nette à l’Assemblée nationale, écartelé entre une gauche radicale animée par Jean-Luc Mélenchon et le Rassemblement national (RN) d’une Marine Le Pen qui n’en attendait pas tant.
Macron ne l’a pas volé : il aura été aux abonnés absents de bout en bout de ce cycle électoral amorcé en mai avec le premier tour de la présidentielle. Une « non-campagne » en série que les observateurs s’expliquent d’ailleurs bien mal. En quoi était-il tactiquement intelligent et, surtout, politiquement responsable de vouloir enjamber ces rendez-vous électoraux, alors que les enjeux économiques, sociaux et environnementaux présentent des défis plus urgents que jamais ?
L’absentéisme pratiqué par le président Macron se trouve en fait à refléter les taux d’abstention records enregistrés à la présidentielle et aux législatives. S’absentant, il aura encouragé l’abstention. À en faire si peu pour contrer la grande « fatigue démocratique » des citoyens, il a incité à leur endormissement. Ce qui n’est pas sans paradoxe, ainsi que le signalait une chroniqueuse du Monde, puisque, à « alimenter la dépolitisation de la campagne », il a par ailleurs ouvert la porte à une « Assemblée nationale ultrapolitisée ».
Ce sont des législatives qui reconfirment l’échec de Macron à faire en sorte qu’il n’y ait plus « aucune raison de voter pour les extrêmes », ce qu’il promettait à l’orée de son premier quinquennat, en 2017. À ne point appliquer d’antidote à la colère sociale dont l’extrême droite se nourrit, en ne prenant notamment pas au sérieux le mouvement social des Gilets jaunes, Macron se trouve à avoir facilité l’entrée en force du RN à l’Assemblée nationale. Tant et si bien que ce dernier devient pour la première fois le premier groupe d’opposition (89 députés), à forces presque égales avec La France insoumise (LFI) du tonitruant Mélenchon (72 députés). Pour le RN, l’avancée est majeure.
Double échec pour M. Macron dans la mesure où la coalition formée par LFI avec les écologistes, les socialistes et les communistes (NUPES) a, elle aussi, réalisé une percée remarquable (131 députés), qui fait en bonne partie que l’alliance présidentielle doit se contenter d’une majorité relative. Une gauche dite radicale que Macron ne s’est pas privé de diaboliser sur le thème du « moi ou le chaos », alors qu’elle est pourtant porteuse de propositions autrement plus progressistes que l’extrême droite. À gauche, l’espoir est que les partis formant la NUPES parviennent à pérenniser leur alliance électorale au Parlement — sans Mélenchon, du reste, puisqu’il n’a pas brigué un siège de député. Or, rien n’est moins sûr : des signes de dissensions se manifestaient déjà lundi. À défaut de cette pérennisation, c’est le RN qui jouira d’influences et d’importants pouvoirs de nuisance afférents à son statut de premier groupe d’opposition au sein de la machine législative française.
Justice sociale, transition écologique, inflation, crises de la vie démocratique, de la santé et du logement… « Ce que nous avons sous les yeux, c’est une rupture extrêmement forte entre la base de la pyramide sociale, les gens qui n’ont ni richesse ni pouvoir, et le prétendu sommet », a dit le président du MoDem, François Bayrou, allié du président. Problème non exclusivement français, il va sans dire. Des sociétés où se creusent les inégalités peuvent-elles, en effet, rester longtemps démocratiques ?
En réponse, Macron avait promis en campagne présidentielle de faire de la France une « grande nation écologique » ; le soir de sa réélection, il a fait miroiter « l’invention collective d’une méthode refondée ». À la recherche d’alliances au Parlement, il a dit lundi vouloir « dialoguer et échanger pour l’intérêt supérieur de la nation, et bâtir des solutions au service des Français ». Il devrait aussi entendre que le vote sanction de ces législatives lui fait savoir que les Français en ont ras le bol de l’entendre depuis cinq ans répéter des généralités.
Les macronistes et une bonne partie de la classe médiatique sont dans tous leurs états au lendemain de ces législatives. Ils craignent que cet éclatement de la représentation parlementaire, inédit en Ve République, ne provoque une « crise de régime », une « paralysie des pouvoirs législatifs et exécutifs » ou que, pire encore, il rende la France carrément « ingouvernable » ! Comme si la culture politique était ainsi faite qu’il est normal en France qu’un président gouverne sans opposition… Il y a plutôt lieu de penser que ce vote sanction ne rend pas tant la France ingouvernable qu’il oblige Macron à gouverner moins verticalement.