Bilingue, mon oeil !

Le rapport du commissaire aux langues officielles du Canada avait conclu l’an dernier à une année « hors du commun ». En a-t-on pris de la graine ? Que nenni ! 2021-2022 repousse l’exception en enregistrant un record de 5409 plaintes recevables. Mardi, le commissaire, Raymond Théberge, a voulu voir dans ce « raz-de-marée » — on parle d’un faramineux bond de 189 % — le signe d’un « profond attachement à la dualité linguistique » au sein de la population canadienne. Ne nous illusionnons pas.

Ressort plutôt de cette explosion une impression tenace : celle d’un désengagement de plus en plus décomplexé à l’égard d’un bilinguisme que chacun sait de façade quand on l’embrasse d’un océan à l’autre. Le glissement est patent : au cours des neuf dernières années, le nombre de plaintes recevables a progressé de 415 à 1870. Or, cette insatisfaction est essentiellement le fait du Québec et de la partie ontarienne de la capitale nationale. Rien que cette année, neuf plaintes sur dix en ont émané.

Et si la dualité linguistique progresse timidement, c’est avant tout l’affaire de Québécois (responsables de 74 % de sa croissance en dix ans) et de francophones. C’est dire combien ailleurs on s’en soucie comme d’une guigne.

Le glissement est tel qu’on ne voit même plus venir les crises. Deux éléments forts en symboles sont venus cristalliser cette impression. La nomination d’une personne ne maîtrisant pas le français au poste de gouverneur général (1346 plaintes retenues) et le discours en anglais du p.-d.g. d’Air Canada (2680 plaintes retenues, un record absolu). Deux événements tenus en pleine lumière, sans gêne aucune, bien qu’en contradiction parfaite avec l’esprit de la Loi sur les langues officielles nouvellement dépoussiérée et présentement à l’étude.

À elles seules, ces deux outrances font dire au commissaire Théberge qu’il est impératif de prioriser la dotation en personnel de la haute gestion dans la fonction publique fédérale. Cela évitera peut-être un psychodrame au CRTC dans ses recherches d’un président bilingue, même si son affichage n’en demande pas tant.

Dans une petite pique dont il a le secret, le commissaire Théberge rappelle du même souffle au gouvernement Trudeau que si la dualité linguistique canadienne se résume à ses deux langues officielles — et à aucune autre —, inclusion et diversité ne sont pas pour autant solubles dans le bilinguisme. Elles peuvent même s’additionner pour peu qu’on ait le courage de l’exiger. On ne saurait mieux dire.

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