Inconduites sexuelles dans l'armée: c’est le temps d’agir
L’ancienne juge de la Cour suprême Louise Arbour a scruté la culture des Forces armées canadiennes (FAC), et elle conclut qu’en matière de traitement des plaintes pour inconduites sexuelles, le salut se trouve hors de l’armée. En 2015, sa collègue juge Marie Deschamps en était arrivée exactement au même constat, et appelait à un traitement des plaintes au civil, en dehors de la loi martiale. Voici venu le temps d’agir.
Le gouvernement libéral de Justin Trudeau, au pouvoir depuis 2015, n’a pas encore activé cette recommandation phare, et ce, même s’il avait tout en main pour juger de l’importance de trouver un véritable processus indépendant, en dehors de la justice martiale. Il doit maintenant tout mettre en œuvre pour favoriser ce changement et faire entrer l’armée dans la modernité.
Les mots de Louise Arbour sont incisifs. En 400 pages d’un rapport dévastateur qui tombe comme une deuxième masse sur l’inaction de l’armée, elle dresse des constats douloureux : les FAC n’ont pas suivi l’évolution de la société ; elles sont demeurées emmurées dans une « structure hiérarchique impénétrable » aux relents misogynes. « Les femmes ne devraient plus se sentir comme des invitées de passage », note-t-elle, invitant les autorités à franchir le cap majeur nécessaire pour mettre fin à un cycle d’inconduites, de microagressions, de viols, de harcèlement et d’autres violations des droits.
Malgré une volonté de compter quelque 25 % de femmes dans leurs rangs, les Forces en sont encore à stagner à un maigre 16,3 %. Ces femmes atterrissent dans une culture d’hypersexualisation et de masculinité catalysée par une idéologie centrée sur l’importance de la hiérarchie et de l’obéissance aveugle. La juge Arbour note d’ailleurs que malgré une rhétorique de haut niveau basée sur des valeurs telles que la bravoure, la loyauté et le courage, la réalité du terrain offre un spectaculaire décalage, où la noblesse de ces valeurs est écorchée par une culture pernicieuse.
Secouées par les conclusions de la juge Deschamps, en 2015, les FAC avaient bien lancé l’opération Honneur, qui, hélas, n’a servi qu’à plaquer des changements de structure sans ausculter ni changer la culture malsaine à l’intérieur des rangs. Ça n’a donc rien donné. Les faits parlent d’eux-mêmes : les scandales sexuels impliquant les hauts dirigeants de la chaîne de commandement ont déferlé au cours des dernières années, entachant même la vélocité de réaction du ministère de la Défense. Fait gravissime : les victimes n’ont plus confiance dans le système et ne dénoncent pas, par crainte de représailles. C’est un échec retentissant.
Il n’est donc pas étonnant que le rapport Arbour milite pour un appel d’air venant de l’extérieur. Que les Forces armées se concentrent sur leur expertise, demande-t-elle, et fassent appel à des bras externes pour la justice, l’éducation et même les ressources humaines. Le traitement des infractions criminelles à caractère sexuel qui visent un membre des FAC doit donc relever exclusivement — et non de manière parallèle — de la justice civile, comme c’était le cas avant 1998.
La ministre fédérale de la Défense, Anita Anand, dit vouloir mettre en œuvre le tiers des 48 recommandations de la juge Arbour, dont le retrait de ce type de plaintes du système de justice martial. Le reste est accueilli avec ouverture, sans garantie d’action. L’examen des preuves est pourtant solide ; il ne manque plus que le courage d’agir.
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