Survivance et résignation
Il a été beaucoup question de fierté lors du congrès national de la Coalition avenir Québec (CAQ). François Legault a parlé des deux pôles de son gouvernement, la prospérité et la fierté. Le ministre André Lamontagne a aussi beaucoup parlé de fierté dans l’allocution finement rédigée qu’il a livrée samedi après-midi.
Ce type d’événements partisans baigne dans un enthousiasme parfois factice — il ne l’était aucunement cette fin de semaine —, qui se manifeste par les autocongratulations et le cheerleading, le simplisme des lignes de communication et un comportement moutonnier particulièrement exacerbé dans un parti composé de militants disciplinés, ou dociles, plutôt que chicaniers. À cet égard, la CAQ surpasse le Parti libéral du Québec.
Cet enthousiasme se percevait sur le plancher du centre des congrès de Drummondville : jamais depuis les libéraux de Robert Bourassa en 1985 un parti politique québécois n’a été en si bonne posture à l’orée d’élections générales, ce que la faiblesse de ses adversaires ne fait que souligner.
En campagne électorale il y a quatre ans, François Legault avait aussi parlé de fierté, en contraste avec un Philippe Couillard distant, qui semblait parfois douter du peuple québécois.
Après un premier mandat, les Québécois sont-ils plus fiers qu’en 2018, sont-ils plus prospères ? a lancé le chef caquiste, tout en donnant évidemment une réponse affirmative aux deux questions.
Sur le plan de la prospérité, son bilan est positif, surtout si on le compare à celui du gouvernement précédent, de l’austérité duquel nous nous souvenons amèrement. Malgré la pandémie, les finances publiques sont en ordre, la forte croissance économique a dépassé celle de nos voisins, le taux de chômage est au plus bas, la productivité est en hausse, l’écart de richesse avec l’Ontario s’est réduit, les salaires ont augmenté, bien que la poussée d’inflation, qu’on espère de courte durée, soit venue brouiller les cartes, et avec ça, le gouvernement caquiste a remis « de l’argent dans les poches des Québécois ».
Plus prospères et plus fiers, les Québécois devraient afficher une assurance à toute épreuve. Pas si vite : c’est compter sans le spectre de la « louisianisation » du Québec, brandi par François Legault, en lien avec une immigration qui s’intégrerait mal à notre société de langue française. Il y va de la « survie » de la nation québécoise, a fait valoir le chef caquiste.
Dès le début du prochain mandat, le gouvernement caquiste entend organiser un vaste sommet sur les perspectives démographiques du Québec et l’apport de l’immigration. L’événement permettrait d’informer la population sur cet enjeu crucial dans le but de bâtir un rapport de force face à Ottawa. Dimanche, François Legault a réitéré une demande à laquelle Justin Trudeau avait déjà répondu par un non catégorique, celle de rapatrier la responsabilité de la réunification familiale, qui compte pour près du quart des immigrants reçus, et il a ajouté la gestion des programmes visant les travailleurs temporaires et les étudiants étrangers.
Comme l’éventualité que le premier ministre du Canada acquiesce à cette revendication semble lointaine, voire utopique, un prochain gouvernement Legault devra s’atteler à reprendre concrètement la maîtrise de la situation avec les leviers dont il dispose, mais qu’il n’a pas pleinement utilisés.
Ce retour de la survivance, une posture qui fut l’apanage des Canadiens français après 1840, laisse perplexe. C’est une stratégie empreinte de résignation, un aveu d’impuissance politique. Et puis le mouvement nationaliste d’émancipation des années 1960 et suivantes, celui de René Lévesque, progressiste et tourné vers l’avenir, avait mis la hache dans cette survivance passéiste.
Il faudrait que François Legault nous dise si son nationalisme est essentiellement conservateur, essentialiste et défensif, ou s’il s’agit d’un nationalisme progressiste — existentialiste, pourrait-on dire —, qui parle d’avenir et s’appuie sur le pluralisme et le métissage qui caractérisent déjà la nation québécoise. Quand François Legault répète « c’est comme ça qu’on vit au Québec », une formule pour le moins maladroite, et qu’il en rajoute avec « c’est comme ça qu’on parle au Québec », on peut se demander où il s’en va avec ses skis. Le français est la langue commune certes, mais il se parle des centaines de langues au Québec, y compris des langues autochtones.
Le gouvernement Legault a déjà amélioré les choses en matière d’immigration, que ce soit en francisation et en soutien à l’intégration, et le chantier n’est pas terminé. Mais il devrait revenir à l’esprit de Gérald Godin : les immigrants pour la plupart veulent s’intégrer à la nation québécoise et contribuer à sa culture vivante et originale, dont nous pouvons nous enorgueillir. C’est ça aussi, être fier.