Les accommodements pandémiques

Sommé de vivre avec le virus, le Québec tout entier apprend à jauger ses nouvelles libertés. Résiste pourtant le projet de loi 28, visant à mettre fin à l’état d’urgence sanitaire, qui a divisé cette semaine la commission parlementaire sur la santé. En dissonance avec l’air du temps — Montréal lèvera son état d’urgence la semaine prochaine, sans plus de façon ; le ROC vit sans depuis belle lurette —, le projet dessiné par le ministre de la Santé Christian Dubé reconduit la gestion caquiste par arrêtés et décrets jusqu’à la fin de l’année.

Ce détour législatif inutile paraît encore plus douteux maintenant que la vérificatrice générale a montré, par l’exemple des équipements de protection individuelle (EPI), ce que ce type de gestion peut coûter à la collectivité.

Commencée très tard et dans la plus grande désorganisation, la pénible course aux EPI aura fait débourser au gouvernement québécois près d’un milliard de dollars en trop, a évalué la vérificatrice générale. C’est beaucoup, même si l’on convient qu’en pareille tempête, le Québec n’aura pas été le seul à payer bonbon ses EPI sur un marché en plein délire.

On s’étonne tout de même de lire dans le rapport déposé mercredi par Guylaine Leclerc que le fameux Centre d’acquisitions gouvernementales, né dans la foulée de la catastrophe sanitaire, une fois la gestion pandémique bien installée, n’a pas toujours bien vérifié l’intégrité des fournisseurs ni la conformité des EPI. Ce laxisme a lui aussi un coût, déplore la VG. Il aura creusé des pertes additionnelles de près de 15 millions et forcé des poursuites judiciaires d’un peu plus de 170 millions contre des fournisseurs ayant failli à leurs engagements.

Ce que le rapport de la VG laisse surtout croire, en creux, c’est qu’un examen approfondi des contrats de gré à gré octroyés sous le paravent du régime pandémique pourrait dévoiler d’autres ententes signées en défaveur du plus grand nombre. Réclamé à cor et à cri par les oppositions, un « rapport d’événement » complet a été promis pour le printemps par un gouvernement Legault qu’on sait peu enclin à ouvrir ses livres. Espérons qu’il le fera de meilleure grâce et, surtout, avec plus d’efficacité qu’il ne l’a fait quand il a rendu publiques les recommandations transmises par la Santé publique au cœur de la pandémie.

Se voulant rassurant pour les mois à venir, le ministre de la Santé s’est engagé en ces pages à ne pas signer de nouveaux contrats. Reste qu’il réclame du même souffle tout le nécessaire pour avoir les coudées franches afin d’affronter une septième vague. S’il tient tant à son « tout petit » et « très simple » projet de loi 28, c’est qu’il vient garantir, dit-il, son « agilité » sur plusieurs fronts, notamment celui des contrats et de la main-d’œuvre. Sans le personnel du programme « Je contribue », qui lui a permis de recruter en dehors des conventions collectives et des ordres professionnels, le ministre ne voit pas comment il pourra mener à bien une opération de vaccination de masse cet automne. Surtout pas avec l’« été chaud » qui se dessine dans un réseau de la santé accusant une fatigue généralisée.

Rien n’y fait. Unanimement décrié par l’opposition, qui y voit un paravent électoraliste, le projet de loi a aussi fait tiquer une majorité de travailleurs de la santé et de juristes. En désespoir de cause, M. Dubé a voulu nous faire croire cette semaine que, sans ce texte législatif, le Québec pourrait n’avoir d’autre choix que de recourir au délestage. C’est fort de café. Renouvelé 112 fois jusqu’à présent, l’état d’urgence n’aura pas mis les Québécois à l’abri de cette mesure. On voit mal comment des  « mesures transitoires », qu’il qualifie lui-même d’« accommodements », pourraient concrétiser ce prodige. Et à quel prix.

Sans compter que, sur le plan du symbole, la possibilité de devoir recourir au bâillon pour mettre fin à l’urgence sanitaire paraît pour le moins antinomique. La solution est pourtant sous notre nez — dans la Loi sur la santé publique, à la section « Déclaration d’état d’urgence sanitaire », qu’il suffirait de dépoussiérer —, ont dit à tour de rôle ceux qui se sont présentés en commission parlementaire. C’est là qu’il faudrait mettre nos énergies. Non seulement l’exercice nous permettrait de nous préparer à la prochaine vague, mais il mettrait la table pour la prochaine pandémie. Même si personne n’est prêt à envisager cette éventualité, c’est pourtant l’un des devoirs qu’avait donnés au ministre Dubé la commissaire à la santé et au bien-être, Joanne Castonguay. Il ne faudrait pas l’oublier.

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