Le français, langue commune et méprisée
Tandis que le projet de loi 96 « sur la langue officielle et commune du Québec, le français » se dirige vers son adoption à l’Assemblée nationale, sa contestation par des anglophones — mais pas seulement — ne faiblit pas. Après des manifestations dans des cégeps anglais comme Dawson et John Abbott ainsi qu’à Kahnawake, des opposants au projet de loi défileront samedi à Montréal pour se rendre au bureau du premier ministre François Legault.
Un des éléments de la contestation porte sur l’obligation imposée aux ayants droit, c’est-à-dire les étudiants qui viennent de l’école secondaire anglophone, de suivre trois cours de français langue seconde au cégep. En principe, ces étudiants doivent déjà avoir atteint un certain niveau de connaissance du français au secondaire. Mais sans même connaître le contenu de ces cours, des étudiants les dénoncent. Or, on demande déjà aux étudiants des cégeps anglais de réussir deux cours de français langue seconde pour obtenir leur diplôme. Et un équivalent existe dans les cégeps français, dont les étudiants doivent, quant à eux, réussir deux cours d’anglais. Personne de ce côté-là n’est encore descendu dans les rues.
Lors d’une manifestation au John Abbott College, des étudiants et au moins un professeur, selon Radio-Canada, brandissaient des pancartes affirmant que le projet de loi 96 était raciste. S’il n’est pas raciste, il est discriminatoire, avance-t-on, puisque parfaire son français peut faire baisser la cote R, sur laquelle est basée l’évaluation d’un étudiant. Pour la direction du collège, enseigner davantage le français est un frein à la réussite.
Il est possible que dans d’autres cégeps anglais, notamment à Dawson, la perception ne soit pas exactement la même : selon un des professeurs de John Abbott, ce collège est « un bastion du privilège anglophone de ne pas parler français », la langue des Québécois « racistes, xénophobes, repliés sur eux-mêmes », rapporte Radio-Canada. On croirait entendre du vulgaire Quebec bashing en provenance de la Ville Reine.
Depuis quelques semaines, certains opposants alimentent la crainte qu’on empêche un anglophone ou un allophone d’obtenir des soins de santé dans sa langue maternelle. Le projet de loi 96 ne change rien à cet égard. La Loi sur les services de santé et les services sociaux continue de s’appliquer, et son article 15 stipule que « toute personne d’expression anglaise a le droit de recevoir en langue anglaise des services de santé et des services sociaux ». Ce droit est soumis à l’organisation des ressources humaines, mais il est garanti par des programmes d’accès qui obligent le réseau à rendre des comptes. Bref, l’accès à des soins de santé en anglais de la minorité anglophone, qui dispose de solides institutions — comme le Centre universitaire de santé McGill, pour ne nommer que lui — continuera d’être sans commune mesure avec le traitement réservé en la matière aux minorités francophones au Canada.
D’autres affirmations frisent la désinformation. En milieu scolaire, les services des orthophonistes et des orthopédagogues seront toujours accessibles de la même manière. Quant aux cas particuliers, notamment au regard des nouveaux arrivants qui ne comprennent pas le français, le projet de loi en tient compte puisque l’administration pourra s’adresser dans une autre langue que le français à quiconque « lorsque la santé, la sécurité ou les principes de justice naturelle l’exigent ». En outre, le ministre peut adapter l’offre de services par voie de règlement.
Dans le fond, ce que reprochent les représentants de la minorité anglophone au projet de loi 96, c’est son principe même : faire en sorte que l’administration publique québécoise ne soit plus intégralement bilingue. Ils réclament le statu quo, c’est-à-dire la possibilité pour quiconque de recevoir, selon son souhait, des services gouvernementaux en anglais. C’est de maintenir le bilinguisme institutionnel de l’État québécois.
L’exigence de la maîtrise de l’anglais imposée à un nombre grandissant de fonctionnaires québécois, dans la grande région de Montréal en particulier, était déjà une préoccupation de leurs syndicats, dont certains ont demandé l’instauration d’une prime au bilinguisme.
Ce que ces débats montrent, c’est que d’aucuns rejettent cette notion de « français, langue commune », une langue qu’on chercherait à imposer à une majorité canadienne qui se conçoit, pour les besoins de la cause, comme une minorité opprimée. Or, le Québec n’est pas un gros Nouveau-Brunswick ; il entend rester — du moins, c’est le vœu d’une majorité de ses habitants, il faut croire — globalement français.
L’épanouissement de la nation québécoise en cette terre d’Amérique en dépend.
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