Vivre à l'extrême centre

Jean Charest a fait sa rentrée politique ce week-end à l'occasion du congrès de la Commission jeunesse du Parti libéral du Québec. Le ton du discours a révélé un politicien combatif qui semble avoir surmonté le choc des partielles du 17 juin. Par contre, il a toujours bien peu à dire.

Ce congrès des jeunes libéraux était attendu. La pause de l'été constituait pour les chefs des trois grands partis politiques davantage un moment de réflexion qu'une période de repos. On constate que Jean Charest a assimilé la leçon la plus évidente du désastre que furent les partielles pour son parti, à savoir que son adversaire principal est désormais l'Action démocratique. D'où l'accent mis sur la capacité du PLQ à être porteur de grands changements qui s'incarneront cette fois dans la réduction du rôle de l'État.

Parti de pouvoir et de gouvernement, le PLQ va généralement là où le vent le porte. À l'élection de 1998, on l'a vu tenter une brève incursion à droite par la remise en question du «modèle québécois» pour vite revenir au centre-gauche. Après avoir mesuré la direction du vent, c'est maintenant plus à droite que M. Charest entend mener campagne. Jusqu'où ira-t-il? Tout dépendra de l'évolution de la cote de popularité de l'Action démocratique d'ici l'élection générale.

La place naturelle du PLQ est au centre de l'échiquier politique, ce qui est, en principe, la position la plus favorable. Pourra-t-il se contenter de repousser vers les extrêmes ses deux adversaires pour pouvoir occuper ainsi le plus d'espace possible? En fait, l'inverse pourrait bien se produire, péquistes et adéquistes repoussant alors les libéraux vers ce qu'on pourra qualifier de l'extrême centre. Rien n'est assuré.

Pour l'instant, la stratégie de M. Charest consiste à conforter sa position en noircissant ses adversaires et leurs politiques. Il présente l'Action démocratique comme la «photocopie» du Reform Party tandis que la gauche nationaliste péquiste serait tout simplement «passée dû». Par diverses allusions, il tente de créer l'impression que le Parti libéral saura incarner le changement en offrant une synthèse modérée des idées les plus attrayantes de ses adversaires.

Le danger que court M. Charest en tenant un tel discours est réel. Le PLQ pourrait apparaître comme n'ayant pas de projet politique propre et ses adversaires lui renverront alors l'image de la «photocopie» qu'il employait devant les jeunes libéraux. Les électeurs seraient alors tentés d'opter pour l'original. L'espace réservé au PLQ serait alors insuffisant pour pouvoir être élu.

Le thème de la réduction de l'État illustre bien ce danger. Jean Charest dénonce «l'État tentaculaire et obèse qui se substitue à l'entreprise, aux banques et à l'initiative individuelle». C'est clairement l'un des thèmes favoris de Mario Dumont qu'il tente de se réapproprier après l'avoir mis de côté en 1998. Comment s'y prendra-t-il? La réponse est floue. Il faut «réinventer le Québec», dit-il en précisant que l'État doit être là quand on a besoin de lui et se mêler de ses affaires le reste du temps. Que vaut la formule? Il faudrait le demander aux jeunes libéraux qui, tout juste avant que leur chef ne tienne ces propos, ne proposaient rien de moins que la «nationalisation» de l'eau et la création d'une nouvelle société d'État.

Ne reprochons pas à M. Charest de ne pas avoir de politique claire et précise à offrir à ce moment-ci sur cette question. Imaginons qu'elle est en préparation. Lui et son parti devront, s'ils veulent être crédibles, aller au delà des lieux communs sur la bureaucratie et la paperasserie et les échecs qu'on attribue à l'une ou l'autre de nos sociétés d'État. Dans la bouche de plusieurs, cela se ramène le plus souvent au seul exemple de l'investissement perdu de la SGF dans le projet Métaforia.

La prochaine campagne électorale est dans les faits déjà commencée. Nul doute que le thème du rôle de l'État constituera le principal sujet de débats. Avant de se lancer dans toutes sortes de directions, la première étape ne devrait-elle pas consister à faire le bilan des interventions de l'État? Au plan économique, il faudrait évaluer l'impact des politiques de soutien aux entreprises que le PQ a multipliées. Elles n'ont pas été toutes profitables, mais le bilan actuel de l'emploi laisse croire que, dans l'ensemble, elles furent positives.

C'est une chose que de vouloir corriger ou réorienter la mission de l'État. C'en est une tout autre que de vouloir «réinventer le Québec». Le chef libéral doit savoir que de tels mots sont lourds de sens et qu'on ne peut les employer sans les appuyer par des politiques bien définies, condition essentielle pour acquérir cette crédibilité qui lui manque douloureusement. La prochaine élection se jouera sur les idées, mais aussi sur la capacité des chefs de parti à les incarner et à les porter. À ce chapitre, M. Charest a un déficit à combler par rapport à ses deux adversaires.

bdescoteaux@ledevoir.ca

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