Une réélection et un avertissement

Emmanuel Macron avait remporté 66 % des voix en 2017, il en a obtenu 58,5 % dimanche, selon les estimations. Victoire sans appel, il va sans dire, mais qui résonne aussi comme un avertissement et une injonction. Dans quelle mesure concrète ce président, dont la réélection est en soi un exploit, entendra-t-il donc cet avertissement pendant son second mandat ? Les électeurs français qui ont voté dimanche pour Marine Le Pen à hauteur record de 41 % ne sont pas tous, on l’a assez dit, d’extrême droite. Maquillant son image, la cheffe du Rassemblement national (RN) aura réussi par « social-populisme » à canaliser la très réelle colère sociale des « gens ordinaires » qui percole et explose partout dans nos démocraties. Ce qui n’est évidemment pas sans renvoyer, au-delà d’une lecture mécaniquement gauche-droite du monde, à l’efficacité avec laquelle Donald Trump a capté l’ire du « peuple » contre les « élites ».

Eût-il, soit dit en passant, doublé Mme Le Pen au premier tour de la présidentielle du 10 avril dernier, ce qu’il a presque réussi à faire, et c’est Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise — Union populaire), incarnant la gauche radicale située à l’autre bout du spectre politique, qui aurait porté cette colère… en la portant en des termes autrement moins conservateurs. Il s’en est fallu de peu.

Fidèle à lui-même, Macron a joué sur tous les tableaux pendant la campagne électorale — une campagne dont il sort vainqueur en s’étant investi le moins possible —, cherchant à faire de ce scrutin tantôt un appel à « faire barrage » au RN, tantôt un vote d’adhésion à ses idées. Pari gagné. Son score de 58,5 % ratisse large. Reste qu’entre langue de bois libérale et prétendu « parler franc », il aura objectivement contribué à laisser comme jamais Marine Le Pen prendre lentement, mais sûrement, sa place dans l’espace politique français. Le fait est que la posture de M. Macron depuis cinq ans a participé à la droitisation de la vie politique nationale.

L’idée que Marine Le Pen, ayant lissé son image, ait évolué dans le sens d’un message politique recentré n’interdit certainement pas de se méfier. « Nos idées ne se sont jamais hissées à un tel niveau », a-t-elle déclaré en prenant acte de sa défaite, dimanche. Ce qui n’a rien de rassurant. Car il reste que l’empathie qu’elle a si efficacement affichée pour le « peuple » est à géométrie variable. Son programme reste fixement xénophobe, prévoyant de supprimer le droit du sol et d’instaurer une discrimination légale entre nationaux et étrangers — ce que le RN appelle la « préférence nationale » — en matière d’emploi, de logement social, d’accès aux soins de santé et aux prestations sociales. D’autres politiciens ont joué dans ce film — celui d’une image momentanément adaptée d’ouverture et de modération.

Il se trouve ensuite que les résultats de cette présidentielle présentent à M. Macron un défi de légitimité, sinon de crédibilité, au vu non seulement d’une abstention (autour de 28 %, cette fois-ci) qui se creuse d’élection en élection, mais au regard aussi de la proportion en hausse de votes blancs de protestation. Signe que la santé de la démocratie de représentation française laisse à désirer et que « voter ne sert pas à grand-chose » pour une grande partie d’un électorat qui voit sa classe dirigeante n’en faire au fond qu’à sa tête. Cette crise de confiance dans nos démocraties est particulièrement aiguë parmi les jeunes : au premier tour, il y a deux semaines, le taux d’abstention chez les 18-24 ans a dépassé 40 %.

Qu’y fera M. Macron ? Ce dernier a pris acte dimanche de cette désertion démocratique et de la profonde insécurité économique qui affecte de larges pans de la société française. Entouré ostentatoirement de jeunes à son arrivée au Champ-de-Mars, en soirée, il a promis dans son discours prononcé sur fond de tour Eiffel « de trouver une réponse aux colères qui sont exprimées ».

Sauf que, parti d’une posture de centre-gauche en 2017, ce « champion du renouveau est devenu le mainteneur de l’ordre néolibéral établi », pour reprendre les propos du sociologue Edgar Morin. Étouffée, la grande grogne des gilets jaunes. M. Macron, analysait pour sa part le média en ligne Mediapart, aura défendu pendant son premier quinquennat l’idée d’un « État fort-faible », fort contre les revendications sociales, faible « dans sa relation au marché ».

Qu’à cela ne tienne. Dans l’entre-deux-tours, M. Macron aura jugé utile de retourner soigner sa gauche en promettant notamment de faire de la France « une grande nation écologique », piquant au passage des idées à Mélenchon et au candidat des verts, Yannick Jadot. Dimanche, il a promis pour la énième fois d’ouvrir une « ère nouvelle ». Crédible, cette mue ? Chose certaine, il est manifeste que Macron a bénéficié du report d’une bonne partie des 7,7 millions de voix obtenues par Mélenchon au premier tour. Il serait utile à la crédibilité de cette « ère nouvelle » qu’il en tienne compte, une fois ficelées les législatives de juin prochain.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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