En toute connaissance de cause
Le congé de Pâques sera familial et festif, synonyme de grandes tablées et de partys démasqués si… tel est votre souhait. Les statistiques ont beau pointer vers une situation de type drapeau rouge, avec un taux d’absentéisme élevé dans le réseau de la santé et une capacité hospitalière sur le point de craqueler, la population est invitée à « gérer son risque » et à prendre les décisions qu’elle juge les meilleures. Mais le fera-t-elle en toute connaissance de cause ?
Il n’y a qu’à faire un petit sondage express autour de soi pour comprendre que cette 6e vague, qu’on dit responsable de 40 000 à 60 000 cas par jour, frappe le Québec de manière percutante, du moins en matière de contagiosité. Le directeur national de santé publique par intérim, Luc Boileau, l’a affirmé sans ambages lors d’un point de presse mercredi : si la population du Québec n’était pas vaccinée comme elle l’est actuellement, nous ferions face à une « hécatombe ». Le nombre de décès demeure toutefois stable.
Les hospitalisations, elles, sont bel et bien en hausse — 2060 lits occupés mercredi, dont 83 aux soins intensifs — et le nombre de travailleurs absents en santé avoisine les 13 000 personnes. L’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS) a dévoilé mercredi des projections qui laissent croire que le taux d’hospitalisation continuera d’augmenter pendant encore deux semaines, après quoi une baisse de la courbe est attendue. En plus de tout cela, les hôpitaux composent avec l’apparition inattendue d’une période grippale, plutôt rare à ce temps-ci de l’année. Le port du masque, dont la levée est prévue le 1er mai prochain, fera coup double en protégeant sur le mode du deux pour un.
Il y a quelques semaines à peine, autant de voyants rouges sur le radar gouvernemental avaient culminé en un couvre-feu imposé au passage du Nouvel An. Cette fois, la fiesta du chocolat se célébrera sur un mode de gestion individuelle du risque, car Québec garde le cap en émiettant ses recommandations de prudence éclairée, sans plus. Les hôpitaux sont encore sous haute pression et on prévient que du délestage est à nouveau en vue, mais le ton n’est plus le même.
C’est que le point de non-retour a été franchi : la population est usée à la corde par ces vagues de pandémie qui secouent sans répit et tolère de moins en moins cette durée qui s’étire que personne n’aurait pu prédire ; les vaccins, il est vrai, ont produit leurs effets et évité pour Omicron et BA.2 le développement de conséquences graves de la maladie pour une vaste majorité de la population infectée ; le retour à la normale, et ses effets bénéfiques notamment sur l’économie et la santé mentale, est appelé de toutes parts. Bref, le retour des restrictions sanitaires n’est nulle part envisagé, et les gouvernements de partout dans le monde y vont d’appels à vivre consciencieusement et avec prudence « avec le virus ».
À la « vie avec le virus » on ajoute désormais la « gestion de son risque ». Voilà une immense responsabilité qui demande une solide maîtrise de l’information. Pour prendre des décisions éclairées — avoir la dose de rappel ? à quel moment ? éviter les rassemblements ? reprendre la vie sociale comme avant ? — en toute connaissance de cause, les citoyens ont encore besoin d’éclaircissements, et d’un message cohérent. Or, on ne peut s’empêcher de noter une certaine absence de l’État depuis les dernières semaines, où les points de presse se font moins fréquents et sont presque toujours menés en solo par le directeur de santé publique. Vivre avec le virus, ce serait donc ça aussi ? Reprendre le cours normal du programme politique, oser badiner avec le virus, se concentrer sur d’autres « priorités prioritaires », voire mettre le cap sur une campagne électorale ?
Le doux retrait du politique dans le discours COVID n’est pas sans effet : il semble avoir créé un sentiment de sécurité dans la population qui, en pleine 6e vague, ne devrait pourtant pas baisser la garde. Seule la moitié des 5 ans et plus a reçu une troisième dose au Québec, et ce, même si les première et deuxième doses ont perdu avec le temps la force de leur couverture. La dose de rappel est recommandée désormais pour certains groupes d’âge, mais les experts ne s’entendent pas sur le moment idéal pour la recevoir.
Pourtant, la vaccination reste le nerf de la guerre. Cette semaine, alors que la Dre Theresa Tam confirmait que le Canada entier nageait dans la 6e vague, elle a rappelé que la dose de rappel permettait de rehausser à 90 % la protection contre les conséquences graves de la maladie. Et entraînait du même coup un effet bénéfique non négligeable sur les populations vulnérables, plus âgées, immunodéprimées ou atteintes de comorbidités les fragilisant. À chacun sa gestion du risque, certes, mais tout en sachant les effets que nos décisions peuvent entraîner sur les groupes les plus en danger.