La ferme du Zimbabwe
Au cours de cette année, alors que la campagne pour la présidence du Zimbabwe battait son plein, Robert Mugabe avait promis aux vétérans de la guerre d'indépendance d'exproprier tous les fermiers blancs. Une fois le vol des élections accompli, Mugabe a rempli sa promesse. Depuis trois jours, les agriculteurs blancs doivent être partis avec armes et bagages.
Lors de la récente campagne électorale, Mugabe avait opté pour le slogan suivant: «L'économie, c'est la terre.» Il avait axé tout son programme sur la redistribution des terres cultivées par les Blancs. Sa volonté consistait alors en l'appropriation des exploitations agricoles pour mieux les répartir entre ceux qui avaient participé, dans les années 70, au juste combat pour la décolonisation. Après avoir adopté tous ces travers qui distinguent les chefs de cliques mafieuses afin d'étouffer l'adhésion, par son rival Morgan Tsvangirai, aux traits qui fondent la démocratie, Mugabe «s'est réélu» président du Zimbabwe. Ensuite il s'est attelé, en adepte fervent du clientélisme, à l'élaboration d'un plan de spoliation des terres.C'est à noter, pendant vingt ans, ce triste sire ne s'est jamais préoccupé du sort des vétérans. Il s'en moquait comme de la dernière guigne jusqu'à ce qu'il essuie sa première défaite électorale. Le référendum qu'il organisa, en l'an 2000, sur sa réforme de la constitution se solda par un échec. Il en fut ainsi parce que les classes sociales qui avaient formé jusqu'alors sa base avaient déserté les rangs pour mieux rejoindre ceux de la coalition que le syndicaliste Tsvangirai était en train de former et qu'il avait baptisé Mouvement pour la changement démocratique (MCD). C'est donc dans la foulée de cette défaite que Mugabe se tourna vers le seul clan au sein duquel son nom conservait une certaine aura. Aux cohortes de déclassés, de laissés-pour-compte, Mugabe promit la vengeance.
Un premier train d'expropriations fut décidé qui illustre combien la corruption est répandue au sein des membres du gouvernement. En effet, les 70 plus importantes exploitations agricoles sont devenues la propriété de ministres et de proches de Mugabe. Les vétérans? Bof...! On les a oubliés. Ou plutôt on les a excités, on a aiguisé leurs rancoeurs pour mieux les instrumentaliser à des fins politiques. Lesquelles? La prise en otage des élections tenues en mars dernier. Au cours des deux dernières années, les vétérans à qui on avait promis des lopins de terre ont été transformés, si l'on ose dire, en miliciens aux services de Mugabe.
Après avoir semé la terreur ici et là, ces vétérans devraient récolter la mise dans les semaines qui viennent. Les terres cultivées par les Blancs totalisent 32 % des superficies propices à l'exploitation. On estime que les 10 millions d'hectares que cela représente sont détenus par 3000 Blancs qui emploient 350 000 personnes. Fait à souligner, ces fermes sont davantage des entreprises agricoles que des fermettes. Des entreprises qui sont le coeur, selon les spécialistes, de l'économie du pays avec les mines.
À l'évidence, ces chiffres indiquent une forte distorsion. Qu'un nombre restreint de Blancs détiennent autant de terres suscite évidemment des questions. Si l'on en croit ces derniers, un pourcentage important de ces terres a été acheté à ceux qui avaient choisi de quitter le Zimbabwe au lendemain de l'indépendance. Ceux qui sont restés, ceux qui aujourd'hui sont expropriés, vont tout perdre car ce cher Mugabe n'entend pas assortir le processus en cours de réparations financières. Quand bien même il le voudrait, on se demande où il trouverait l'argent. Le pays en effet est en faillite.
Qu'on y songe: le taux de chômage atteint 60 %, l'inflation dépasse les 110 %, le taux d'intérêt est à 70 %. Les étrangers entendent d'autant moins pousser à la roue de la finance que Mugabe et ses sbires les ont passablement échaudés. Comment? En nationalisant ceci, en refusant de rembourser cela. Bref, depuis 22 ans qu'il gouverne Mugabe s'est aliéné pratiquement tout le monde, notamment bien de ses voisins immédiats. Toujours est-il qu'il n'entend pas verser un sou aux fermiers éconduits.
À son avis, c'est la Grande-Bretagne qui devrait puiser dans ses coffres pour rembourser tous les frais inhérents à cette opération. Cette attitude a ceci de très singulier qu'elle est riche d'un enseignement de la première importance. Voilà en effet un président qui refuse d'assumer les responsabilités qui vont avec sa fonction.