Liberté surveillée

La crainte de voir l’État s’immiscer dans la gestion des universités avec son projet de loi sur la liberté universitaire — un paradoxe en soi, il est toujours bon de le rappeler — est pour l’essentiel écartée. Se collant au plus près du chemin tracé en décembre dernier par la commission Cloutier, la ministre de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann, a donné à son projet de loi 32 des balises qui ont le mérite d’être aussi simples que souples. Se réservant l’énonciation des principes communs, elle renvoie aux universités le poids de dessiner la suite à leur image et à leur ressemblance.

Message fort s’il en est un, le projet de loi vient confirmer la suprématie de la liberté d’expression et de la transmission des savoirs dans un lieu qui ne saurait être entravé par quelque contrainte « doctrinale, idéologique ou morale » que ce soit. Ainsi, tous les mots pourront donc y être prononcés, et toutes les critiques possibles y être formulées. En cela, la proposition de Mme McCann, qui s’appuie sur les principes de l’UNESCO, est une rebuffade aux mouvances réclamant des universités — souvent au nom de la défense de la diversité, mais pas seulement — une uniformisation ou une édulcoration de la pensée.

Par là, elle vient redonner du pouvoir à des institutions qui ont dû faire face à un moment ou à un autre de leur histoire récente à des dogmes attaquant le cœur même de leur mission. Dogmes qu’elles ont combattus avec plus ou moins de nerf, il faut l’admettre. Rappelons seulement le pénible chemin de croix de l’Université d’Ottawa, théâtre de débats virulents avec l’affaire Lieutenant-Duval, laquelle concentre l’essence des dérives notées ces dernières années.

Ce projet de loi, espère la ministre, donnera des munitions aux universités pour qu’elles discriminent ce qui relève du débat musclé ou de la censure et réagissent en conséquence. Surtout, il uniformisera les pratiques en matière de liberté universitaire, ce dont le milieu ne saurait faire l’économie, y compris à l’autre bout du spectre, là où des profs pourraient être tentés de se saisir du concept comme d’une amulette pour échapper à tout encadrement.

En fermant net la porte aux espaces sûrs au seul bénéfice d’espaces dits ouverts gérés en pleine lumière, la ministre fait le pari que chacun va y gagner. On lui accorde que le débat, même mené sur le terrain feutré des mots, peut choquer et que cela doit être admis comme tel. Pour autant que ce débat s’exerce en conformité « avec les normes d’éthique et de rigueur scientifique » tout en « tenant compte des droits des autres membres de la communauté », ce que précise le projet de loi 32. Une transparence qu’il serait bon d’appliquer aussi au financement de ces mêmes universités, rongées par le clientélisme.

On note tout de même entre les lignes une forme de méfiance de la part du gouvernement Legault à l’endroit des établissements qui inquiète et même choque. Mme McCann s’est bien défendue de vouloir lier les mains des recteurs, il reste qu’en réservant au ministre les pouvoirs d’ordonner à un établissement « de prévoir dans sa politique tout élément qu’il indique » et « d’y apporter des correctifs » si elle n’est pas jugée « conforme », Québec va quand même très loin. Trop ? On le jugera à l’usage.

On retiendra également une certaine intransigeance envers ceux qui souhaitent que le milieu universitaire fasse preuve de plus d’ouverture et de sensibilité à l’égard des voix minoritaires. Ces voix ne sont pas moins valides que celles qu’on veut protéger ici. Il ne faudra pas l’oublier quand viendra l’heure de créer ces fameux conseils chargés de surveiller la bonne application de la loi.

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