Péril en la demeure

Un des pires ennemis du Nunavik se cache sous les traits du syndrome de mort subite du nourrisson (SMSN). Il est connu de tous et pas mal tous savent ce qu’il faut faire pour le déjouer. Il continue pourtant de semer le malheur dans une population qui affiche un taux alarmant de mortalité infantile. L’année 2021 aura été catastrophique sur ce front avec douze enfants de moins de trois ans décédés dans des circonstances obscures ou inexpliquées. La coroner Geneviève Thériault a été mandatée pour faire la lumière sur cette funeste série. S’il ne fait aucun doute qu’elle fera œuvre utile, on voit mal comment on pourrait se payer le luxe d’attendre patiemment ses recommandations.

Déjà, on sait que les cinq premiers dossiers qu’elle a analysés à ce jour ont été classés sous ce syndrome. Or, une enquête de notre reporter Stéphanie Vallet met en lumière le caractère récurrent de ce mal qui ronge le Nord. En épluchant les rapports du coroner de 2015 à 2021, cette dernière a constaté que 31 enfants inuits de moins d’un an sont décédés au Nunavik pendant cette période. Sans surprise, le SMSN se classe au premier rang des causes de mortalité, suivi, loin derrière, des infections pulmonaires.

Pourtant, la mortalité infantile n’a eu de cesse de reculer au Québec. Du milieu des années 1970 au milieu des années 1990, ses composantes ont fléchi de moitié, nous enseigne l’Observatoire des tout-petits. Des gains supplémentaires ont été enregistrés jusqu’au milieu des années 2000, spécifiquement chez les tout-petits, pour atteindre un plancher dont sont cruellement exclues les populations aux conditions de vie difficiles. Au nord du 55e parallèle, ces indicateurs sont carrément partis en vrille.

Combien de petits corps comme ceux de Jasmine, de James ou d’Annie-Joy faudra-t-il découvrir inanimés dans le creux d’un lit de fortune pour qu’on comprenne ? Tant que les familles seront forcées de s’entasser à la douzaine, voire à la quinzaine, dans une maison mal chauffée, mal ventilée, on aura beau renforcer la prévention et distribuer des lits de bébé à tout vent (qui ne seront pas utilisés faute d’espace pour les déployer), les chiffres ne baisseront pas.

Beaucoup d’énergie a été déployée pour combattre le SMSN au Québec. Déjà, en 2011, la coroner Andrée Kronström tranchait dans le vif tout en précisant la notion de cododo, souvent mal comprise : « l’endroit de sommeil le plus sécuritaire pour le nourrisson est la couchette placée dans la chambre des parents ». Point barre. À l’inverse, faire dormir un bébé sur le ventre ou sur le côté, le partage du lit avec une autre personne, une chambre trop chauffée, un matelas pas assez ferme, un lit encombré (oreiller, tour de lit, douillette, peluche…) et une exposition au tabac peuvent conduire au pire.

Dans son rapport publié en décembre dernier sur les circonstances entourant les décès subits et inattendus de nourrissons pendant leur sommeil de 2015 à 2020, Statistique Canada précise que plus de 9 nourrissons sur 10 décédés se trouvaient dans un environnement non sécuritaire. Or, au Nunavik, 60 % des enfants de moins de six ans grandissent dans une maison surpeuplée.

C’est d’abord là que le bât blesse, estime-t-on à la Direction régionale de la santé publique du Nunavik, pour qui le manque de logements a un impact direct sur la santé des Nunavimmiuts. Beaucoup de chemin a été fait auprès de la population locale pour contrer le SMSN et les troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale. Avec, à la clé, de vrais changements sur le terrain. Tant que les petits grandiront dans des environnements délétères, ce savoir se heurtera cependant à un mur.

Sentiment de déjà lu ? Et comment ! En 2004, Serge Déry, alors directeur de la Santé publique au Nunavik, notait dans un rapport alarmant que le manque de logements n’était pas étranger à plusieurs des problèmes de santé observés chez les enfants. À commencer par une incidence élevée du syndrome de détresse respiratoire et une hausse du SMSN. Combien de rapports semblables faudra-t-il encore pour qu’on prenne la pleine mesure des dangers associés à la crise du logement au Nunavik ?

On l’a vu avec la COVID-19. Quand la quatrième vague a fait son nid au Nunavik, en novembre dernier, le virus s’est répandu comme une traînée de poudre, portant à un taux quasi stratosphérique le nombre de cas actifs. Le confinement pour ces familles fut spécialement difficile, exacerbant les tensions — les trois quarts des femmes rapportent avoir été victimes de violence à la maison au Nunavik — et les facteurs de risques favorisant le SMSN et les infections respiratoires.

L’urgence sanitaire n’est pas que pandémique. Au Nunavik, l’urgence sanitaire est aussi locative. En novembre 2021, 1184 ménages étaient en attente d’un logement. Ouvrons les yeux : la pénurie de logements brise des vies au Nunavik. Elle en fauche aussi, et cela parmi les plus vulnérables, nous rappelle notre enquête. Agissons en conséquence.

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