Ententes historiques

On a l’appellation « historique » facile dans le champ des règlements avec les communautés autochtones, mais ça n’est pas pour rien. Dans certains domaines, comme celui de la protection de la jeunesse et des services de soutien à l’enfance, la route des Premières Nations a été jalonnée de telles souffrances, dont les répercussions sont imprimées aujourd’hui encore dans le quotidien des communautés, que lorsque des avancées sont gagnées de chaude lutte, il n’est pas exagéré de faire retentir le clairon de l’entente historique.

C’est bien le cas de ces accords dévoilés la semaine dernière à Ottawa par le ministre fédéral des Relations Couronne-Autochtones, Marc Miller. Après une bataille juridique complexe commencée en 2007, le fédéral a accepté de verser aux Premières Nations une somme de 40 milliards de dollars, divisée en deux enveloppes : 20 milliards en indemnités pour les errements du passé, et 20 milliards pour rebâtir les services de protection de la jeunesse au sein des communautés autochtones. Les réactions qui ont accueilli cette annonce plus qu’attendue sont positives, mais colorées de prudence, sur le thème du « on croira quand on verra ». Depuis 2007, les contestations judiciaires indécentes se sont additionnées dans ce dossier, ce qui explique aisément une certaine méfiance.

Ces sommes faramineuses sont le reflet de l’ampleur des dommages. Ainsi, 40 000 $ seront remis aux enfants, et à leurs parents ou tuteurs, qui ont été placés dans une famille d’accueil loin de leur communauté alors qu’ils étaient jeunes, et ce, à compter de 1991 et jusqu’à nos jours. On estime que des centaines de milliers de personnes seraient visées par cette entente, dont les modalités précises ne seront connues qu’à la fin du mois de mars prochain.

Les accords suivent des jugements qui ont démontré la discrimination qu’ont subie les enfants des Premières Nations en n’ayant pas accès aux mêmes services et soins que les autres enfants canadiens, ce qui bafoue le principe de Jordan. Jordan River Anderson, un petit garçon issu d’une nation crie manitobaine et né avec une maladie nécessitant des soins médicaux particuliers, est décédé en 2005, à l’hôpital et non pas chez lui, dans sa communauté. Il avait cinq ans. Pendant deux ans, les gouvernements fédéral et provincial ont refusé l’un et l’autre d’assumer la responsabilité financière de ses soins médicaux à domicile. Le germe des ententes qui ont fleuri la semaine dernière contient la mémoire de ce petit garçon. Tout a commencé avec lui.

Depuis les travaux qu’ont menés successivement la Commission de vérité et réconciliation, la commission Viens (au Québec, sur les relations entre les Autochtones et certains services publics) et la commission Laurent (au Québec, sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse), nul ne peut maintenant ignorer les ravages qu’ont causés les stratégies de rupture des liens entre familles et enfants autochtones mises en place par nos gouvernements au fil des décennies. Avec force détails et témoignages, ces commissions chacune à leur manière ont mis au jour le récit tragique de familles déconstruites, d’enfances fracassées. Les effets dévastateurs de ces brisures continuent de hanter les communautés autochtones, dont la surreprésentation dans les services de protection à l’enfance fait frémir. Au Québec, la prévalence de signalement à la DPJ est six fois plus élevée chez les enfants autochtones que chez les autres.

Le second volet de l’entente propose d’ailleurs un soutien financier notable pour rebâtir le système de protection de l’enfance, et ce, par et pour les communautés. Ottawa dispose désormais d’un levier légal pour faciliter cette reprise de contrôle par les Premières Nations, avec l’adoption en 2019 de la loi C-92, qui donne aux peuples autochtones qui le souhaitent la possibilité d’adopter une politique de protection de la jeunesse qui leur est propre. Le Québec conteste toutefois la constitutionnalité d’une telle loi, qui empiéterait sur ses champs de compétence.

Avec un projet de loi (15) tout neuf modernisant la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ), Québec dispose de l’occasion idéale pour montrer aux leaders autochtones qu’ils ne feront pas les frais d’une autre querelle juridique, alors que les actions concrètes sur le terrain sont nécessaires. Le PL15 du ministre délégué Lionel Carmant prévoit de remettre l’enfant au cœur des préoccupations et « reconnaît que les Autochtones sont les mieux placés pour répondre aux besoins de leurs enfants de la manière la plus appropriée ».

La commission Viens avait conclu que certains des principes de la LPJ provoquaient des effets discriminatoires sur les Autochtones, par exemple en raison de conceptions très différentes du soutien « parental » procuré par la communauté élargie en cas de besoins. Miser sur la prise en charge de la protection de l’enfance par les communautés permettrait d’atteindre un objectif louable : bâtir l’avenir sans reproduire les erreurs du passé.

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