Aux armes, citoyens !

Le directeur du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), Sylvain Caron, a jeté un pavé dans la mare lors de l’étude détaillée de son budget 2022. Évoquant des raisons mixtes d’efficacité, de pénurie de main-d’œuvre et de limitation des coûts, le chef Caron s’est prononcé pour une réforme en profondeur de la police de quartier.

Son objectif est de réduire le nombre de postes de quartier sur le territoire, quoiqu’il n’ait pas de cible arrêtée en tête. Il y a présentement 30 postes de quartier répartis dans les 19 arrondissements, auxquels il faut ajouter quatre centres opérationnels (nord, sud, est, ouest), où sont centralisées les enquêtes.

Les économies d’échelle découlant des fusions pourraient permettre au SPVM d’avoir davantage de policiers sur le terrain, alors qu’il y a un besoin criant de présence pour endiguer les crimes dus à la violence par armes à feu. Il manque présentement 290 policiers à Montréal (sur un effectif de 4308 agents). En outre, l’absentéisme a pour effet de retirer 290 autres policiers des opérations sur une base annuelle. « Je divise mes forces partout sur le territoire, a déploré le chef Caron. On est partout et nulle part en même temps. »

Cette sortie surprend, à première vue. La police de quartier, mise en place en 1995, visait à rapprocher les policiers de la population, à développer un sentiment d’appartenance mutuel et réciproque et à améliorer le lien de confiance du public à l’égard de la police. Les autorités politiques de l’époque affirmaient leur désir de voir les agents patrouiller à pied et à vélo et s’insérer dans le tissu local. L’esprit de cette réforme, mise en œuvre sous la direction de Jacques Duchesneau, est toujours aussi pertinent plus d’un quart de siècle après l’élan originel. Le lien de confiance de la population à l’égard de la police est loin d’être aussi fort que l’auraient souhaité les réformistes de 1995, et ce n’est que par une transformation du métier de policier qu’il pourra être renforcé. À la base, pour que le « combattant du crime » se mue en un réel agent au service des citoyens, il devra évoluer dans une organisation et une culture qui favorisent le rapprochement, et non l’inverse.

À ce sujet, il est rassurant d’entendre le directeur Caron. Il ne remet aucunement en question l’esprit de la police de quartier, il constate simplement que la proximité avec les citoyens ne réside pas dans la brique et le mortier, mais dans la capacité de l’organisation à occuper le terrain de manière proactive. Le monde a changé depuis 1995. Dans une société numérique, la multiplication des guichets de services n’est plus une nécessité pour la prestation de ceux-ci à la population. Les regroupements de postes de quartier peuvent donc constituer une avenue intéressante s’ils n’entraînent pas un effritement accru de la culture de proximité et s’ils permettent de maintenir le temps de réponse aux appels urgents (il est présentement de six minutes).

Le budget du SPVM pour l’année 2022 s’élève à 724 millions de dollars, s’il n’y a pas de dépassement de coûts. L’an dernier, la facture a grimpé à 733 millions, soit 51 millions de plus que prévu, principalement en raison d’heures supplémentaires imprévues. Montréal compte 217 policiers par 100 000 habitants, et sur ce plan dépasse largement les villes de comparaison (Toronto, Calgary et Vancouver). La médiane est de 179 policiers pour 100 000 habitants. Une partie de l’explication tient au fait que les autres villes sont plus enclines à déléguer des tâches connexes à des civils. C’est une avenue que le SPVM compte explorer davantage dans le cadre des prochaines négociations avec la Fraternité des policiers. À près de 363 $ par habitant, c’est à Montréal que les coûts des services policiers par tête sont les moins élevés (la médiane des quatre villes est de près de 409 $ par habitant).

La situation nécessite une vigilance de tous les instants. En effet, la rémunération et les cotisations de l’employeur accaparent 94 % du budget du SPVM. Aussi bien dire qu’il n’y a pas de marge d’erreur dans la gestion des coûts de la main-d’œuvre. Sylvain Caron en est pleinement conscient. « On n’a plus le modèle qu’il faut pour arriver à respecter la capacité de payer des citoyens et à offrir un service », a-t-il dit. Il faudra s’en souvenir lors des discussions sur le renouvellement de la convention collective. Il y a toujours bien des limites à l’augmentation des budgets de la police, surtout dans une métropole comme Montréal, où les besoins en services sociaux et communautaires sont criants.

Un dernier point sur la réforme anticipée de la police de quartier. Le chantier ne peut se résumer à un bilan comptable sur la fermeture et la fusion des postes. C’est l’occasion d’actualiser l’énoncé de mission de la police de quartier et de renforcer le contrat social entre le SPVM et les résidents. C’est à l’administration Plante d’exercer un leadership et de consulter les citoyens. Malgré les bonnes intentions de sa haute direction, le SPVM ne peut être juge et partie d’une réforme qui concerne en premier lieu les Montréalais. C’est aussi à eux de prendre les armes, celles de la consultation et du dialogue, pour dessiner l’organisation policière de demain.

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