Justice pour Ti-Lilly
Après à peine cinq heures de délibération, les 12 jurés chargés d’entendre la cause de la fillette de Granby ont conclu à la culpabilité de la belle-mère, jugée coupable de meurtre au second degré et de séquestration. Ce repli anormalement court pour un jury ne laisse aucun doute quant à la pesanteur de la preuve amassée contre la femme de 38 ans, une preuve égrenée au fil de huit semaines douloureuses d’étalage d’une vie de petite martyre littéralement échappée par la société.
La mort tragique de la petite fille avait ébranlé tout le Québec en 2019, donnant lieu à une Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse. Le verdict prononcé jeudi dernier vient clore un chapitre judiciaire important. Selon les mots bien choisis du procureur de la Couronne Jean-Sébastien Bussières, « si ce verdict-là rend un peu de dignité à cette jeune fille, c’est déjà énorme ». Mais rien, pas même un verdict de culpabilité unanime, ne peut amoindrir l’horreur vécue par la fillette, vraisemblablement décédée par suffocation après avoir été entourée de ruban adhésif de la tête aux pieds par sa marâtre, comme une « momie ».
Dans le préambule de son volumineux rapport appelant à ériger les services de protection de l’enfant sur le socle commun de la bienveillance, la présidente de la commission spéciale, Régine Laurent, écrivait directement à la petite fille, qu’elle avait nommée Ti-Lilly. « Ta mort a creusé un profond sillon dans le cœur de notre société », écrivait-elle. Comme société, en effet, sur quoi peuvent reposer nos certitudes après qu’un drame d’une telle ampleur s’est joué sous nos yeux engourdis ? C’est autour de ce questionnement que s’affairent les décideurs depuis que l’histoire de la petite fille, pourtant très bien connue des services de protection de l’enfance dès ses premiers jours, a horrifié le Québec. Il faut le dire : les gestes faits à ce jour sont encourageants, et témoignent d’un véritable électrochoc, qui ne restera apparemment pas sans suite. Espérons-le.
Une directrice nationale de la Direction de la protection de la jeunesse a été nommée par Québec. Il s’agit de Catherine Lemay, qui est en poste depuis mars 2021. Cette demande faisait partie des toutes premières propositions d’urgence formulées par la commission spéciale pour contrer le manque d’homogénéité et l’absence de vision d’ensemble posée sur le réseau. Consternée par l’isolement des DPJ, où des drames éclatent partout, pas seulement à Granby, la Commission a appelé de tous ses vœux la fin de la gestion à la pièce, sans apparente constante, hormis l’incapacité de mener avec diligence une mission de protection des enfants les plus vulnérables.
Des ressources additionnelles ont aussi été annoncées pour renforcer les services de première ligne destinés aux enfants en difficulté. On ne saura trop insister sur l’importance de cette voie d’entrée dans le secteur névralgique de la prévention. En plus d’outiller de manière directe les intervenants dans les champs de l’école, des services de garde et de la santé, ce renforcement devrait réduire un des phénomènes les plus décriés par la commission Laurent, soit le fait que la DPJ soit devenue la malle à signalements pour tout et rien, du tragique au moins grave, sans aucun discernement. En réduisant ainsi la pression et en redonnant aux DPJ leur statut de « soins intensifs » de la protection de l’enfance, Québec espère alléger un fardeau trop lourd.
Plus récemment, le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, a déposé le projet de loi 15, destiné à recentrer la Loi sur la protection de la jeunesse autour du principe crucial de primauté de l’intérêt de l’enfant. Ce qui aurait dû être une évidence souffrait d’une certaine confusion au moment de l’interprétation. En modifiant le libellé du préambule de la Loi, on espère corriger certains des errements qui ont fait primer les intérêts des parents sur ceux de leur enfant, parfois avec des conséquences terribles. Le projet de loi vient également corriger une autre dérive en assouplissant les règles de confidentialité autour du dossier d’un enfant signalé vers la DPJ, ce qui facilitera le partage de renseignements jugés capitaux pour une compréhension complète et une intervention efficace.
Tout cela ne vient pas toutefois remédier à l’un des plus grands problèmes auxquels fait face le réseau de la protection de l’enfance, avec l’exode et l’épuisement inquiétant des troupes s’activant sur le terrain de la négligence. Plus qu’à une pénurie de main-d’œuvre, c’est à une désaffection de son personnel brûlé et accablé par l’ampleur de la tâche — et l’impression nette de ne pouvoir répondre à l’immensité des besoins — que le ministre et la directrice nationale de la DPJ doivent s’attaquer de manière urgente, en espérant que les mesures politiques mises en place connaîtront rapidement un effet concret sur le terrain, là où tout se joue.