Des méthodes à revoir

Le nouveau maire de Québec, Bruno Marchand, juge qu’il y a « un problème » avec la police à la suite de la diffusion récente de vidéos d’arrestations préoccupantes de par leur intensité. À l’inverse, le chef du Service de police de la Ville de Québec (SPVQ), Denis Turcotte, et la présidente de la Fraternité des policiers, Martine Fortier, estiment qu’il ne faut pas lancer la pierre aux agents mis en cause avant d’avoir pris connaissance de l’ensemble de la preuve et des circonstances de ces interventions.

Contrairement aux deux leaders policiers, le maire Marchand a trouvé ce juste point d’équilibre pour exprimer son indignation, sans pour autant faire de l’ingérence dans les affaires policières et présumer des conclusions de l’enquête en déontologie annoncée par la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault. « On s’attend à ce que la police soit là pour protéger le monde, le traiter avec respect. Si des gens n’ont pas compris ça, le chef de police va devoir remédier à la situation », a-t-il dit avec justesse.

Qu’on y pense. Lors de l’arrestation de Pacifique Niyokwizera à la sortie du bar Le Dagobert, dans la nuit du 26 au 27 novembre, les policiers ont traîné une jeune femme par les cheveux. Alors qu’ils frappaient et maîtrisaient Niyokwizera, un agent lui a envoyé de la neige au visage avec sa botte. Un geste d’un tel mépris n’est pas enseigné à l’Institut national de police. Plus tôt dans la même soirée, les policiers se sont rués sur Jean-Philippe St-Laurent lors de son arrestation au restaurant Portofino, renversant au passage une table et son contenu. L’homme de 29 ans a été blessé par des éclats de verre et des coups de poing assénés par les policiers. Deux autres incidents ont été rapportés dans la foulée de ces révélations.

Il y a certainement des nuances et de zones de gris qui ne sont pas encore connues du public au sujet de ces interventions. Les policiers et leurs représentants syndicaux ne manqueront pas d’arguments pour justifier leurs méthodes et les présenter comme un usage acceptable de la force dans le contexte d’une intervention difficile. Nul besoin d’étudier intensément ce qui s’est passé « avant » et « après » l’intervention pour porter un jugement sur le « pendant », comme le suggèrent le SPVQ et la Fraternité. Les images montrent tantôt un manque de civisme, tantôt un empressement à plaquer, à bousculer et à passer les menottes, tantôt un usage de la force anormalement intense eu égard aux circonstances de chaque affaire.

Le plus troublant reste dans la concentration des interventions litigieuses entre les mains des agents du Groupe de relation et d’intervention policière auprès de la population (GRIPP), une escouade chargée notamment de patrouiller près des bars et restaurants afin de maintenir la paix et la sécurité. Ainsi, trois des cinq agents suspendus avec solde ont pris part aux interventions menées au Dagobert et au Portofino. Un d’entre eux était aussi présent pour une troisième intervention au District Saint-Joseph, au cours de laquelle un père de famille a subi un traumatisme crânien après avoir été projeté contre le mur.

Peut-être qu’il s’agit de cas isolés. Peut-être aussi que la partie « relationnelle » du mandat du GRIPP est mal comprise ou boudée des patrouilleurs qui en font partie. Ces combattants du crime seraient-ils obnubilés par la traque aux gangs en tous genres au point de négliger le maintien de saines relations avec la population ?

C’est le genre de question que l’administration Marchand devrait poser dans le cadre d’un débat citoyen. Malheureusement, il n’existe pas de commission de la sécurité publique à la Ville de Québec, contrairement à ce qui prévaut à Montréal. C’est une lacune qui empêche les élus d’effectuer un travail de vigie (sans s’immiscer dans les enquêtes) au sujet du SPVQ et de ses orientations.

À l’Assemblée nationale, des voix se sont élevées pour que l’analyse du dossier soit confiée au Bureau des enquêtes indépendantes (BEI). La ministre Guilbault préfère confier la tâche au Commissaire à la déontologie policière, qu’elle a chargé d’enquêter sur les incidents du Dagobert et du Portofino. Ce n’est pas une mauvaise idée, dans la mesure où le rapport sera rendu public, alors que le BEI ne divulgue jamais les conclusions de ses enquêtes. Le Commissaire aura la même attitude que le BEI. Il pourra recommander que les policiers soient cités à comparaître devant le Comité de déontologie policière, ou même confier le dossier au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) s’il juge qu’il y a matière à déposer des accusations au criminel. En parallèle, le SPVQ mène aussi son enquête interne.

Les cinq policiers mis en cause ne seront pas obligés de témoigner devant le Commissaire puisqu’ils ont droit, eux aussi, à la présomption d’innocence. Cette contrainte n’empêchera pas le Commissaire de faire témoigner des tiers et d’avoir accès à toute la documentation requise, y compris les rapports d’événements. Pour que l’enquête demeure crédible, le Commissaire devra procéder avec célérité et transparence.

À voir en vidéo