Comme une urgence d’agir
À la suite du meurtre crève-cœur du jeune Thomas Trudel, 16 ans, le premier ministre, François Legault, la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, et la mairesse de Montréal, Valérie Plante, ont montré des signes d’impatience devant l’inaction d’Ottawa dans le dossier du contrôle des armes à feu.
Pendant que le premier ministre Legault disait ne plus reconnaître Montréal, la vice-première ministre sonnait la charge. « Ottawa doit en faire plus, a-t-elle martelé. C’est un problème qui est incontournable, complexe et profond et qui dépasse la responsabilité seule du gouvernement du Québec ou de la Ville de Montréal. »
La ministre Guilbault n’a toujours pas reçu de réponses à ses demandes de rencontre avec son homologue fédéral, Marco Mendicino, et le ministre de la Protection civile, Bill Blair. Ce silence est pour le moins étonnant dans l’actuel contexte de vives tensions à Montréal, mais il ne surprend pas de la part du gouvernement Trudeau, réputé pour sa lenteur et son indécision dans le dossier du contrôle des armes à feu.
L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) et la Gendarmerie royale du Canada (GRC) participent aux efforts de la nouvelle opération Centaure— un projet de collaboration policière de 90 millions de dollars visant à lutter contre la violence liée aux armes à feu. Au dire de la ministre Guilbault, les agences fédérales pourraient ajouter des ressources sur le terrain. Le gouvernement Legault et l’administration Plante ont parfaitement raison de taper du pied afin que le fédéral resserre les mesures de contrôle aux frontières et qu’il accentue le contrôle des armes de poing. Ce n’est pas aux municipalités de le faire, comme le suggérait le gouvernement Trudeau avec le projet de loi C-21. Questionné à ce sujet, le premier ministre, Justin Trudeau, a réitéré son intention de renforcer le contrôle des armes, sans préciser toutefois ce qu’il avait en tête. Les libéraux devraient envisager le transfert de cette compétence au Québec sans plus tarder, le dossier avancerait plus vite de cette façon.
Dans la foulée, le gouvernement Legault souhaite un alourdissement des peines d’incarcération pour les infractions reliées aux armes à feu. C’est là qu’il fait fausse route. L’homicide du jeune Trudel est un crime qui est déjà passible d’une peine d’emprisonnement à perpétuité, mais cela n’a pas empêché son assaillant de commettre l’irréparable, dans des circonstances qui n’ont toujours pas été élucidées. Le suspect court toujours. L’effet dissuasif ne vient pas de la sévérité d’une sentence, mais du risque de se faire prendre. Plus les crimes sont susceptibles de faire l’objet d’enquêtes et de mises en accusation, plus la tentation criminelle diminue.
Une partie de la solution au problème repose donc sur l’amélioration des pratiques de collecte et de partage des renseignements criminels entre les organisations policières (sans faire de raccourcis qui mèneraient au profilage racial) et sur une recrudescence de la pression policière sur les groupes criminels qui alimentent le marché illégal des armes. En ce sens, l’opération Centaure peut générer des résultats, à la condition d’être patients.
Il y avait quelque chose de frappant dans le discours du directeur du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), Sylvain Caron, en réaction au meurtre de cet adolescent sans histoire. L’impuissance de la police à endiguer la « culture du gun » chez les jeunes montréalais se lisait sur son visage. Dans la foulée de cet assassinat, des jeunes et des parents ont exprimé leurs craintes de se promener dans les rues et parcs des quartiers chauds comme Saint-Michel.
Montréal est une ville sécuritaire, a dit Valérie Plante. Observation très juste du haut de la montagne, à Outremont ou à Westmount. Dans le « far est » des quartiers pauvres et laissés pour compte, le sentiment de sécurité vacille et le désespoir s’installe quand un Thomas Trudel ou une Meriem Boundaoui tombent sous les balles.
Sous le couvert de l’anonymat, des jeunes autrement sans histoire affirment qu’ils se procurent une arme pour se défendre en cas d’attaque ou de représailles de la part de gangs rivaux. Quand des jeunes en sont rendus à acheter illégalement une arme par réflexe de survie, c’est bien la preuve que de nombreuses institutions ont failli dans la mission d’assurer leur sécurité et leur épanouissement.
Montréal n’est pas la seule ville en Amérique du Nord à subir une flambée de violence armée. Il s’agit peut-être d’un épiphénomène qui disparaîtra avec les derniers relents de la pandémie. C’est peut-être aussi un point de bascule pour la jeunesse des quartiers désœuvrés qui grandit dans un climat inquiétant de banalisation et d’accessibilité des armes à feu.
Dans ce sens, Québec et Montréal n’ont pas besoin d’attendre Ottawa pour investir d’une manière pérenne dans la prévention, l’éducation, le travail social et communautaire et les autres déterminants de la réussite. Il y a urgence d’agir pour offrir à toute la jeunesse montréalaise l’égalité des chances et l’espoir d’un avenir meilleur.