Les rappels essentiels du rapport Bastarache

L’exercice que vient de clore l’Université d’Ottawa (UO) sur le concept de liberté universitaire dans un contexte où l’acte même d’enseigner peut s’avérer « offensant » sera des plus utiles à quiconque plongera dans le rapport produit par l’ex-juge de la Cour suprême Michel Bastarache. Son comité a brillamment conclu un numéro de funambule : autour du principe même de libre circulation des idées, rien ne doit justifier dans l’enceinte universitaire la censure institutionnelle ni même l’autocensure.

Le recteur de l’UO, Jacques Frémont, n’avait d’autre choix que d’aller chercher conseil auprès d’un comité de sages après deux controverses ayant plongé son université dans une cascade de décisions mal éclairées : il s’agit bien sûr des affaires Verushka Lieutenant-Duval (utilisation du mot en n dans un contexte d’enseignement par une chargée de cours) et Amir Attaran (ce professeur qui a accusé les Québécois d’être racistes dans un échange vitriolique diffusé sur Twitter). Critiqué de toutes parts pour une gestion malhabile et dénuée de bravoure, le recteur a fait ce qui s’imposait pour réussir à s’élever en situation de crise : s’adresser à plus éclairé que soi.

Le comité Bastarache a suivi les étapes essentielles que commandait cette analyse au but à la fois simple et complexe : créer sur le campus de l’UO un climat de travail et d’étude serein et respectueux de la liberté universitaire et de la liberté d’expression. Il a revisité les définitions de liberté universitaire, une tâche ardue. Il a revu le socle de jurisprudence encadrant la notion de liberté d’expression dans un contexte proche de l’enseignement. Il a consulté les divers groupes de la communauté universitaire susceptibles d’avoir voix au chapitre. Il a reçu une centaine de mémoires et de commentaires. Il a étendu son regard sur des crises similaires dans d’autres universités et s’est inspiré d’ailleurs de solutions existantes.

Au-delà d’une gestion de crise ponctuelle — sur laquelle le rapport ne s’étend pas du tout de manière concrète, ce qui constitue peut-être une des grandes déceptions de cette analyse —, ce à quoi le comité Bastarache devait s’attaquer n’était ni plus ni moins qu’un changement de culture. Ceux-là sont généralement les défis les plus costauds. Les témoignages entendus par le comité reflètent un campus en questionnement : des étudiants issus des minorités se disant victimes de racisme, des chargés de cours et professeurs aux idées en tutelle. Mais peu importe la position occupée sur le campus, il y a cette impression partagée par tous et toutes de devoir désormais marcher sur des œufs.

Le recul dont bénéficiaient les membres du comité pour s’attaquer aux divergences d’opinions importantes auxquelles ils ont dû faire face a permis d’arriver à des conclusions inspirantes. Hors de l’émotivité liée aux événements trop récents, quelques rappels d’importance se sont imposés. Qu’est-ce que la liberté universitaire au juste ? La libre circulation des idées, des savoirs et d’opinions diverses, qui devrait être encouragée plutôt que restreinte. Les universités devraient être des « remparts contre les opinions conventionnelles et les idées reçues ». Toutefois, cette autoroute de la liberté d’expression ne devrait pas être un laissez-passer pour la discrimination et l’insulte. La suite du raisonnement est cruciale : il n’existe pas un droit à ne pas être offensé en classe. Le comité conclut sur un vibrant plaidoyer en défaveur de tout ce qui pourrait s’apparenter à de la censure ou même à de l’autocensure, les professeurs ayant confié une tendance troublante à s’empêcher de parler de certains sujets par crainte de représailles. Nous souscrivons à cette conclusion.

Pour reprendre l’expression de la rectrice de l’Université Laval, Sophie D’Amours, la liberté universitaire doit tout de même s’exercer avec « doigté ». Pour tous les établissements universitaires qui se seront plongés avec curiosité dans ce rapport, la recommandation de créer un comité permanent chargé de traiter les plaintes et les situations litigieuses viendra sans doute résonner avec force. Ils devraient aussi démarrer par un exercice de définitions et de clarifications des concepts importants mais potentiellement fourre-tout que sont la liberté universitaire et la liberté d’expression. Ils gagneraient également à sonder leurs troupes : le fait de permettre une prise de parole des étudiants, des professeurs et des membres de la communauté universitaire sur ce changement de culture en cours ne peut qu’être bénéfique.

Le groupe indépendant mandaté par Québec pour sonder cet enjeu crucial s’apprête à rendre ses conclusions. Le rapport Bastarache regorge déjà de pistes inspirantes à souhait pour les universités du Québec.

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