Instrumentaliser l’éducation
Les pelures de banane s’amoncellent sur la route du nouveau cours Culture et citoyenneté québécoise (CCQ), qui glisse déjà, avant même sa rédaction préliminaire, dans les contours de la catastrophe annoncée. Quand l’entêtement politique l’emporte sur la raison, la logique et le bénéfice éducatif, on s’embourbe. On assiste à une véritable instrumentalisation de l’éducation.
L’équipe de la CAQ ne peut pas plaider l’étonnement devant la réaction négative que suscite le cours CCQ, qui va remplacer Éthique et culture religieuse (ECR) à l’automne 2023. C’est que le gouvernement a multiplié les faux pas et a mêlé ses baguettes partisanes à une opération qui, normalement, devrait s’en détacher le plus. On ne badine pas avec le curriculum de l’école primaire et secondaire. Il doit répondre uniquement aux impératifs de formation des jeunes Québécois, et non pas à un programme politique. Les gouvernements passent ; les cours sont là pour de bon.
Les raisons de s’inquiéter de la manière avec laquelle ce nouveau cours est propulsé sont multiples. On peine d’abord à trouver le fil conducteur qui unit les huit thématiques mises au menu ; prises isolément, elles ont toutes leur intérêt propre, mais sous quel chapeau sont-elles vraiment rassemblées ? Le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, répond que c’est pour outiller les enfants, pour qu’ils soient « prêts à exercer [leur] rôle dans le Québec d’aujourd’hui ». La question n’est pas banale : l’école sert-elle à former des esprits, des citoyens ou des travailleurs ? Selon la réponse, le programme scolaire peut emprunter trois voies : la culture générale, le guide du parfait citoyen ou l’utilitarisme.
Bien sûr, l’école doit « être de son temps ». Le cours CCQ constitue presque une étape de plus vers la déconfessionnalisation de notre réseau scolaire. C’était un des grands chantiers des États généraux sur l’éducation (1995-1996), et Mme Pauline Marois, alors ministre de l’Éducation, y avait ouvert une importante brèche en 1998 avec l’avènement des commissions scolaires linguistiques, en lieu et place des entités catholiques et protestantes. En 2005, le cours ECR a effacé tout résidu confessionnel et fait disparaître les cours optionnels de morale et d’enseignement religieux. Depuis 2008, le cours ECR est obligatoire de la 1re année à la 5e secondaire, mais son volet « culture religieuse » est demeuré un réel irritant. En adéquation avec la laïcité de l’État à laquelle la CAQ s’affaire — et nous lui en savons gré —, ce cours restait une ombre au programme.
Faut-il pour autant précipiter la préparation et l’implantation de CCQ comme si on souhaitait arrimer ce cours du parfait petit citoyen à une date électorale ? Il n’est pas anodin qu’au sein même des équipes chargées de penser ledit programme, on observe un immense malaise. Notre reporter à l’éducation Marco Fortier rapportait cette semaine que « deux des cinq membres du comité de rédaction du programme ont démissionné » récemment et que « des experts d’un autre comité, chargé celui-là de “valider” le contenu, envisagent de démissionner à leur tour devant la tournure jugée “partisane” de l’implantation du cours ». Ça sent très mauvais.
En janvier dernier, un organisme conseiller important, le Conseil supérieur de l’éducation, publiait un écrit détaillant la quantité de « risques » importants rattachés à la mise en œuvre précipitée de ce nouveau cours à l’identité mal cernée, à commencer par l’irréalisme de sa date de mise en œuvre. Il y pointe l’éclectisme des matières mises au programme, le risque d’enchevêtrement avec des matières déjà enseignées, l’importance de mener un vrai bilan d’ECR avant de se lancer dans une nouveauté, l’incapacité des universités d’ajuster leur programme de formation des maîtres à temps pour le lancement, le besoin de ressources spécialisées pour certains volets (éducation à la sexualité et cadre juridique, par exemple) et le manque de formation et de préparation associé à une opération lancée en catastrophe.
Mais il met également en garde contre une tendance observée dans la littérature en éducation vers la multiplication des « éducations à » (la sexualité, la citoyenneté numérique, la participation citoyenne, etc.), qui côtoient à l’école les savoirs disciplinaires plus traditionnels (français, maths, histoire). Ces « éducations à », en somme, ne forcent-elles pas l’école à adopter une posture dans laquelle elle n’est pas à l’aise ? On lui demande littéralement de « répondre à des phénomènes sociaux et culturels de l’air du temps qui relèvent d’une lecture du monde non consensuelle ». C’est ce qui ressemble à un appel à la catastrophe.
Voilà donc un chantier qui s’annonce complexe et voué à l’échec si Québec ne tente pas de rattraper la balle. Pourquoi ne pas avoir imaginé un cours de philosophie obligatoire à l’école de la 1re année à la 5e secondaire ? Il y a dans cette matière toutes les bases pour la formation d’esprits éclairés.