Au diable le Québec!

Que le Québec soit en mesure de suivre ou non, le gouvernement Trudeau poursuit une politique énergique en matière d’immigration. Les seuils annuels d’admission sont passés de 280 000 à 350 000 ces dernières années. Comme la pandémie a contribué à réduire le nombre d’immigrants reçus, à la fois en raison des contraintes touchant les voyages internationaux et de l’exacerbation des lacunes administratives d’Immigration Canada, l’administration fédérale doit faire du rattrapage en 2021 et traiter 400 000 admissions.

Il semble que la bouchée soit très grosse pour Immigration Canada, qui peine à faire son travail adéquatement. Le ministère est empêtré dans l’accueil des réfugiés afghans et n’arrive pas à délivrer les permis de séjour aux étudiants étrangers en temps utile. Les détenteurs d’un certificat de sélection du Québec (CSQ) sont toujours aussi nombreux à attendre 26 mois en moyenne avant que le gouvernement fédéral ne daigne leur accorder leur résidence permanente pour qu’ils deviennent des immigrants officiellement admis avec tous les droits que ce statut confère.

En 2020, à cause des problèmes administratifs affectant les bureaux d’Immigration Canada en Nouvelle-Écosse qui traitent les demandes de résidence permanente, les autorités fédérales n’ont pu admettre le nombre d’immigrants prévu dans le plan d’immigration du Québec. Cette année, il appert que le rattrapage prévu de 7000 immigrants, ajoutés aux quelque 45 000 autres qui figurent dans le plan, ne pourra pas se faire parce que l’administration fédérale n’arrive pas à traiter les dossiers.

Dans le reste du Canada, l’octroi de la résidence permanente — Ottawa y est responsable de la sélection de tous les immigrants — est beaucoup plus rapide. Ainsi, il est de six mois avec le service Entrée express destiné aux immigrants qualifiés. C’est donc deux poids, deux mesures : une administration fédérale capable d’être efficace pour accorder avec célérité la résidence permanente à des travailleurs qualifiés dans le reste du Canada et la même administration qui a besoin de deux à trois ans pour faire la même chose au Québec.

Au sein des organismes d’aide aux nouveaux arrivants et chez les avocats spécialisés en immigration, on cherche à comprendre les raisons d’une telle disparité de traitement. Immigration Canada n’a plus l’argument de la réduction des seuils d’immigration décrétés par le gouvernement caquiste à son arrivée : le seuil établi par le gouvernement Legault pour 2021 équivaut, avec le rattrapage, à ceux fixés auparavant par le gouvernement Couillard.

En octobre 2020, le ministre fédéral de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Marco Mendicino, a lancé un programme afin d’accorder des points aux candidats « francophones et bilingues » pour Entrée express. Le gouvernement Trudeau avait annoncé son intention de porter à 4,4 % le pourcentage d’immigration francophone en dehors du Québec, alors qu’il était de 2,82 %. Ce nouvel objectif correspond à la proportion des francophones qui subsistent dans le reste du Canada. En avril dernier, le ministre a aussi ouvert une voie rapide pour accorder leur résidence permanente à 90 000 travailleurs temporaires et étudiants étrangers en sol canadien. Invité à adopter le même programme, Québec avait décliné puisque cette sélection définie par Ottawa ne correspondait pas à ses critères et parce que le programme était injuste pour les détenteurs d’un CSQ qui poireautent deux à trois ans avant de devenir immigrants reçus.

Il semble que les mesures portent leurs fruits, du moins du point de vue du ministre fédéral. Ottawa pourra compter sur de nouveaux arrivants francophones établis au Québec pour se rapprocher de sa cible. Le Journal de Montréal a rapporté que plusieurs travailleurs et étudiants étrangers établis dans la région de Montréal, désespérant d’obtenir leur résidence permanente, avaient déménagé leurs pénates en Ontario. Ils ont obtenu le précieux statut en quelques mois.

Il s’agit d’une forme de concurrence malsaine, qui s’ajoute à l’incurie administrative réservée au Québec. Le gouvernement Trudeau exerce une pression sur les fonctionnaires d’Immigration Canada pour qu’ils remplissent cette commande d’accueillir 400 000 immigrants cette année. Entre satisfaire les besoins du Québec et ceux du reste du Canada, les fonctionnaires fédéraux écoutent la voix de leur maître et favorisent le système d’immigration qui relève totalement d’eux.

C’est peut-être voulu, c’est peut-être systémique, mais ce qui est clair, c’est que ce traitement inéquitable sape le système québécois d’immigration.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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