La langue indissociable de la culture

Un des principaux artisans de la loi 101, Guy Rocher, a donné de bonnes notes au ministre Simon Jolin-Barrette pour le projet de loi 96 cherchant à renforcer la langue officielle et commune du Québec, 44 ans après l’électrochoc administré par Camille Laurin.

Devant les lucides et inquiétantes prévisions des démographes, le sociologue de 97 ans, qui a comparu en commission parlementaire lors des consultations publiques, a dit que c’était son « espoir » que les différentes mesures contenues dans le projet de loi 96, qui reste fidèle aux sources de la loi 101, selon lui, permettront de freiner le déclin du français au Québec. Quatre institutions y contribueront, dont l’Office québécois de la langue française, qui voit ses pouvoirs d’intervention renforcés. On crée en outre un ministère de la Langue française, un poste de Commissaire de la langue française relevant de l’Assemblée nationale et Francisation Québec.

Mais Guy Rocher a déploré — nombre d’intervenants lors de ces consultations publiques, commencées il y a deux semaines et se poursuivant cette semaine, ont frappé sur le même clou — le refus du gouvernement caquiste d’abolir le libre-choix de la langue d’enseignement au cégep.

Selon lui, ce fut une erreur de ne pas étendre au cégep en 1977 le même régime qu’au primaire et au secondaire. « Il y a 50 ans, quand on a créé les cégeps — j’étais là —, eh bien, nous ne pouvions pas nous imaginer ce qu’ils allaient devenir », a-t-il dit. C’est une des institutions d’enseignement qui exerce le plus d’influence sur la société québécoise et sur les étudiants qui le fréquentent. Pour la très grande majorité d’entre eux, cette période de deux ou trois ans a été très marquante dans leur vie, a-t-il observé, plusieurs ayant découvert le travail intellectuel, approfondi la culture québécoise et développé des relations qui les suivront leur vie durant.

Le gouvernement Legault a opté pour le plafonnement relatif du nombre d’étudiants qui pourront fréquenter le cégep anglais. Alors que la minorité canadienne-anglaise dite historique s’élève au Québec à 8,5 % de la population, les cégeps anglais accueillent 17 % des étudiants du collégial. Les étudiants qui viennent des écoles secondaires françaises sont en majorité au cégep anglais. Le projet de loi 96 prévoit que la croissance prévue du nombre d’étudiants dans ces cégeps ne pourra dépasser ce pourcentage de 8,5 %.

Pour Guy Rocher, c’est une solution « bancale », « tordue ». En fait, il s’agit d’un compromis politique et, comme tout compromis, il peut paraître bancal. Ce compromis ne cherche pas à satisfaire la minorité anglophone, dont les représentants, de toute façon, rejettent en bloc toute mesure visant à renforcer la place du français au Québec, comme ils l’ont fait historiquement avec tous les projets de loi qui avaient la prétention de protéger la langue française. Il s’est imposé pour respecter la volonté de ces francophones qui veulent avoir le choix d’envoyer leur progéniture faire leurs études supérieures en anglais. Les députés caquistes y tenaient. Du côté du Parti québécois, qui prône l’application de la loi 101 au cégep, on a même perdu un député : à l’instar de maints élus en région, Sylvain Roy, dans Bonaventure, s’opposait à cette prise de position et siège désormais comme indépendant.

Le gouvernement Legault ira toutefois plus loin que ce que contient le projet de loi 96. La ministre de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann, a annoncé le gel du nombre de places dans les cégeps anglais. C’est aussi la position avancée par le Parti libéral de Dominique Anglade, qui en a surpris plus d’un. Ce gel de dix ans fera passer la proportion des étudiants au cégep anglais de 17 % à 13 %.

En outre, le projet de loi contient une mesure qui pourrait décourager des étudiants issus du réseau francophone de choisir le cégep anglais en raison, notamment, de leur faiblesse en français. Pour obtenir leur diplôme collégial, ils devront réussir l’épreuve uniforme de français, comme tout étudiant du cégep français.

Sur le plan culturel, il n’est pas indifférent pour un francophone ou un allophone de fréquenter le cégep français ou le cégep anglais. Langue et culture sont indissociables. Le français, ce n’est pas seulement une langue de communication, « c’est une langue qui fait partie d’une culture, qui exprime une culture », une culture québécoise propre, a fait valoir Guy Rocher. Cela vaut évidemment aussi pour les immigrants à qui on veut transmettre non seulement une langue, mais la culture québécoise.

En commission parlementaire, le ministre Jolin-Barrette s’est montré sensible à cet enjeu. Il faut maintenant qu’il précise ce qu’il entend faire pour assurer le rayonnement de la culture québécoise.

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