Un Legault contre-productif

La réconciliation avec les Premières Nations a pris une tournure gênante cette semaine, gracieuseté du premier ministre François Legault. Les relations de « nation à nation » entre le Québec et les peuples autochtones viennent de subir un profond recul.

Les derniers jours exigeaient doigté, empathie et compassion avec trois rendez-vous marquants pour les Autochtones : le premier anniversaire de la mort de Joyce Echaquan, le 28 septembre, la première Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, le 30 septembre, et la publication du rapport de la coroner sur la mort de Mme Echaquan, le 1er octobre.

À tous les coups, M. Legault a raté les occasions de s’élever au-dessus de la poussière partisane et d’enfiler le costume du rassembleur qui traîne au fond de sa garde-robe depuis la reprise des travaux parlementaires. Rarement un premier ministre aussi populaire et installé en tête des sondages aura paru aussi maussade et teigneux.

Pour une question de productivité et de coûts, le premier ministre a fermé la porte à l’ajout d’un jour férié au Québec pour la Journée de la vérité et de la réconciliation. Comme si la question complexe de la productivité pouvait se mesurer à un congé de plus ou de moins. Le Québec n’est pas obligé d’emboîter le pas au fédéral avec ce nouveau férié. C’est le genre de dossier qu’un politicien aguerri prend en délibéré quand les émotions sont à fleur de peau ; l’empressement de M. Legault à trancher la question manquait de délicatesse.

L’esprit de la paix des braves, un accord de nation à nation entre le Québec et les Cris conclu par feu Bernard Landry et Ted Moses, en 2002, a été malmené cette semaine. Si le Québec veut renforcer l’idée d’un Canada plurinational avec une pleine reconnaissance de son caractère distinct, il devra faire des peuples autochtones des alliés. Dans les derniers jours, le premier ministre a plutôt entretenu la méfiance déjà élevée des Autochtones à l’égard de son gouvernement.

L’entêtement du premier ministre à ne pas reconnaître le racisme systémique dont souffrent les Premières Nations est problématique. Le mal est nommé dans le rapport de la commission Viens, portant sur les relations difficiles entre les Autochtones et les services publics, dont la police. Même si la notion de racisme systémique ne fait pas consensus, elle recueille l’appui de nombreux chercheurs et de leaders à Québec (Dominique Anglade, Gabriel Nadeau-Dubois), à Ottawa (Justin Trudeau, Yves-François Blanchet, Jagmeet Singh) et à Montréal (Valérie Plante et son chef de police, Sylvain Caron).

La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec (CDPDJQ) a proposé une définition qu’un homme de l’envergure de François Legault peut très bien comprendre. Il s’agit « de la somme d’effets d’exclusion disproportionnés qui résultent de l’effet conjugué d’attitudes empreintes de préjugés et de stéréotypes, souvent inconscients, et de politiques et pratiques généralement adoptées sans tenir compte des caractéristiques des membres de groupes visés par l’interdiction de discrimination ».

Trop compliqué ? Lisez le rapport de la coroner Géhane Kamel sur la mort de Joyce Echaquan pour connaître une manifestation concrète du problème. Le racisme et les préjugés auxquels l’Atikamekw a fait face ont contribué à son décès accidentel. Dès son arrivée à l’hôpital de Joliette, elle a été étiquetée comme narcodépendante, sans preuves, un diagnostic sans possibilité de révision qui la suivra jusqu’à sa mort dans le mépris, l’insulte et l’injure raciale. De nombreux Atikamekw ont témoigné que l’affaire Echaquan était loin d’être un cas isolé.

La coroner recommande en premier lieu que le gouvernement du Québec reconnaisse le racisme systémique et s’engage à l’éliminer. Pendant que le premier ministre et son ministre responsable des Affaires autochtones, Ian Lafrenière, disaient prendre un pas de recul avant de commenter le rapport, un ténor caquiste, Éric Caire, est monté au front pour nier le problème. Une autre occasion de rapprochement manquée.

Le gouvernement Legault dit vouloir s’attaquer au racisme par des actions concrètes. Dans cette conception du monde, le racisme est le résultat de cas isolés commis à l’échelle individuelle par des individus mal intentionnés. Cette approche simpliste et réconfortante pour la base caquiste protège bien la force d’inertie et l’aveuglement de nos irréformables institutions publiques. Elle occulte cependant les racines du problème : la surreprésentation des Autochtones dans le système carcéral et celui de la protection de la jeunesse, leur faible accès aux services publics, leurs écarts de scolarisation et de richesse, etc.

Tous ces maux qui affligent la condition autochtone ne peuvent résulter de l’addition de gestes isolés : il y a quelque chose de plus grand à l’œuvre. Des préjugés et idées préconçues inconscients. Des politiques coloniales qui ont broyé la conscience et l’identité autochtones au fil des siècles.

En l’admettant, le premier ministre ne ferait pas le procès en racisme de tous les Québécois. Au contraire, il serait le porteur d’un message d’empathie et de solidarité qu’une majorité de citoyens souhaitent livrer aux Premières Nations.

À voir en vidéo