Les risques du tout-à-l’écran
La pandémie a déroulé le tapis rouge au tout-à-l’écran, lui conférant l’étiquette de service essentiel : désormais, entre nos dépendances coupables à toutes les fonctions loisirs de nos appareils numériques, nous allions pouvoir avoir bonne conscience, étant « obligés » de passer par l’écran pour le travail ou encore pour l’école. Mais à quel prix ?
La volonté du gouvernement du Québec de rédiger une Stratégie sur l’utilisation des écrans et la santé des jeunes est donc on ne peut plus bienvenue — et nécessaire.
Le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, concluait en début de semaine le deuxième volet d’une consultation sur l’impact du temps d’écran sur la santé des jeunes. Un premier forum avait réuni plusieurs intervenants en février 2020, mais la pandémie avait freiné les ardeurs du ministère de la Santé, affairé ailleurs, on le comprend. L’objectif de Québec est d’arriver avec un plan d’action d’ici la fin de 2021.
On peut s’étonner a priori que le gouvernement songe à s’immiscer dans un champ d’action aussi privé que celui du temps passé devant un écran, quel qu’il soit (téléphone, tablette, téléviseur, ordinateur ou jeu vidéo). Compte tenu de l’usage galopant du numérique en classe, il est au contraire salutaire que les autorités décident de s’attaquer à un phénomène aussi répandu que méconnu.
En effet, bien que des études existent pour mesurer certains aspects des effets, positifs ou néfastes, du temps d’écran chez les jeunes, la science n’est pas arrivée à des constats clairs au point où les politiques publiques s’y arriment. Documenter la problématique en ayant recours à des données probantes et ensuite agir en toute cohérence, notamment dans le champ de l’école, semble tout aussi urgent qu’essentiel.
Les données divulguées par Québec stipulent que 64 % des jeunes de 12 à 19 ans consacrent désormais plus de 15 heures par semaine à des comportements sédentaires devant un écran. La Société canadienne de pédiatrie estime que les ados passent 7,5 heures par jour — par jour, oui — devant un écran, école et loisirs combinés, dont 20 % de ce temps sur les médias sociaux. D’autres données étourdissantes ? Les pédiatres croient que trois heures de télé par jour chez les petits de cinq ans conduiront à une prévalence élevée de troubles de comportement deux ans plus tard, à l’aube de leurs sept ans. La Société canadienne de physiologie de l’exercice, entre autres organismes qui se sont penchés sur la question, recommande un temps maximal de deux heures d’écran par jour tous écrans confondus, et pas une minute de plus, pour les 5 à 17 ans. S’agirait-il de l’équilibre visé ?
L’objectif poursuivi n’est pas d’éradiquer ou de diaboliser les écrans, mais plutôt, en premier lieu, de savoir exactement quels sont les effets néfastes sur la santé d’une exposition prolongée et, en second lieu, de pouvoir atteindre un équilibre, ce dosage magique qui permettrait de tirer profit de leurs bienfaits tout en évitant de s’exposer à leurs conséquences négatives. Parmi celles-ci, outre des cas extrêmes comme la cyberintimidation ou les dépendances numériques, on note bien sûr des effets néfastes sur le sommeil, des troubles musculosquelettiques, de la sédentarité, des dépressions, des problèmes de vision et l’obésité.
Dans le mémoire fort intéressant qu’il a publié cet été en vue de la consultation menée par le ministre Carmant, l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) salue l’imminence d’une stratégie nationale, notamment pour qu’on arrive enfin à brosser un portrait et une analyse complète des risques et bénéfices de l’utilisation des écrans en milieu scolaire.
L’INSPQ plaide aussi pour qu’on calcule le temps d’écran en n’oubliant jamais d’ajouter son usage en classe à celui de la maison. Et pour qu’on s’assure que, dans l’ensemble de ses actions dans le champ numérique, le gouvernement du Québec lui-même soit cohérent. Il lui faudra en effet s’ausculter lui-même, en allant fureter notamment du côté de l’éducation, où les premières tentatives d’utilisation de tablettes en classe se sont faites sans que la moindre littérature scientifique concluante soit disponible.
Dans un avis diffusé à la fin de 2020, le Conseil supérieur de l’éducation recommandait d’ailleurs que l’école québécoise éduque AU numérique et non seulement PAR le numérique, comme si on s’était concentré largement sur l’aspect technique de la chose sans trop s’attarder à ses composantes intrinsèques.
Dans son auto-examen, le gouvernement ne doit pas non plus négliger deux aspects essentiels qui touchent l’école, et qu’on a vus poindre de manière évidente pendant la pandémie : le manque de formation du personnel, qui n’affronte pas de manière égale les défis liés à l’éducation par le numérique ; et les inégalités numériques, en commençant par le fait que tous les enfants du Québec n’ont pas accès de manière équitable ni à Internet ni aux appareils nécessaires.
Les défis sont nombreux, mais voilà qu’il s’agit maintenant d’une affaire de santé publique.