So-so-so-solidarité
Le gouvernement Legault a décidé d’imposer la vaccination obligatoire contre la COVID-19 pour le personnel soignant du réseau de la santé qui est en contact direct avec le public pour 15 minutes ou plus, suivant la recommandation de la direction de la santé publique. La question n’est pas tant de savoir si cette décision est justifiée, mais pourquoi elle n’a pas été prise avant.
Devant la commission parlementaire qui se penche sur la vaccination obligatoire, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, a précisé jeudi que 86 % des travailleurs de la santé du réseau public ont reçu deux doses du vaccin. Quelque 30 000 personnes ne sont pas adéquatement vaccinées. On doit en compter le double compte tenu que la mesure s’applique également au personnel des résidences privées pour aînés, à celui affecté aux soins à domicile et aux médecins. Le personnel soignant doit être pleinement vacciné d’ici le 15 octobre.
Si le gouvernement n’a pas opté plus tôt pour la vaccination obligatoire dans le réseau de la santé, c’est sans doute pour laisser la sensibilisation et l’incitation faire leur œuvre. L’introduction à compter du 1er septembre du passeport vaccinal pour participer à certaines activités, comme la fréquentation des restaurants, des cinémas et des salles de spectacle, se veut un fort encouragement à se faire vacciner. En outre, le personnel soignant non vacciné doit à l’heure actuelle subir chaque semaine trois tests de dépistage, un embêtement qui en a poussé plusieurs à se faire vacciner.
Il faut le rappeler : la vaccination générale du personnel soignant est un des moyens indispensables pour prévenir que des patients, souvent fragiles, soient infectés, que des professionnels de la santé non vaccinés soient exposés au même risque et pour que le système de santé évite une surcharge dont on sait qu’elle est mortifère. Les fédérations de médecins croient même que le gouvernement doit aller plus loin et étendre la vaccination obligatoire à l’ensemble du personnel du réseau.
Qui dit obligation, dit sanctions. Et c’est là que ça se complique. L’employé réfractaire à cet ordre sera affecté à d’autres tâches qui ne le mettront pas en contact avec les patients. Si c’est impossible ou s’il refuse la réaffectation, il sera suspendu sans salaire. Christian Dubé a reconnu que ces suspensions pourraient entraîner des ruptures de services tandis que le réseau de la santé manque déjà de main-d’œuvre. Si les récalcitrants se font vacciner en masse d’ici le 15 octobre, cet écueil sera évité.
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La technique du bulldozer, la chronique de Jean-François LiséeEn commission parlementaire jeudi, la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) et la Confédération des syndicats nationaux (CSN) — cette dernière représentant environ 30 % du personnel dans le réseau — se sont vivement opposées à la vaccination obligatoire de leurs membres. Ils ont présenté des arguments discutables, en soutenant que le gouvernement arriverait un jour à ses fins par la seule sensibilisation. La CSN a prévenu que l’État s’exposait à des poursuites judiciaires et à une avalanche de griefs.
Si on doit admettre qu’un syndicat est dans l’obligation de défendre chacun de ses membres, il ne doit pas inciter les plus irresponsables d’entre eux à se lancer dans des procédures douteuses, voire frivoles. On pourrait croire que la CSN cherche à encourager une minorité des travailleurs de la santé qu’elle représente à continuer à poser un risque indu à des patients qui n’ont pas choisi de se retrouver à l’hôpital, alors que la quatrième vague d’une grave pandémie s’annonce, propulsée par un variant beaucoup plus contagieux que les précédents.
En vertu de la Loi sur la santé publique, le gouvernement, dans l’urgence sanitaire, peut imposer la vaccination à ses citoyens pour contrer une épidémie. Il doit cependant se conformer aux chartes des droits : la vaccination obligatoire est une atteinte importante à des droits fondamentaux, comme le droit à l’intégrité physique et le droit de refuser un traitement médical. Mais ces droits individuels ne sont pas absolus et doivent être conciliés avec le droit d’autrui à la vie. La Charte des droits et libertés de la personne prévoit en effet que les libertés et droits fondamentaux s’exercent dans le respect « de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec », ce qui s’applique en l’espèce.
Pour le personnel soignant du réseau de la santé, se faire vacciner, c’est un devoir moral, un devoir à l’égard de la collectivité. C’est une question de solidarité, un mot que les syndicats ont à la bouche et qui, selon la définition du dictionnaire, est « une relation entre personnes ayant conscience d’une communauté d’intérêt qui entraîne, pour les unes, l’obligation morale de ne pas desservir les autres et de leur porter assistance ». La solidarité, c’est le fin mot de l’affaire.