Un pis-aller

Cela fait longtemps qu’on en parle, de ce train à grande fréquence (TGF) reliant Québec, Montréal et Toronto en passant par Trois-Rivières. En 2015, Via Rail, déficitaire, en avait fait son cheval de bataille. Après avoir réservé près de 500 millions dans son dernier budget pour réaliser des phases préliminaires du projet, le gouvernement Trudeau confirme qu’il ira de l’avant cet automne en lançant un appel d’offres pour choisir un partenaire privé.

Accompagné d’une facture oscillant entre 6 et 12 milliards — on ne se montre guère précis —, le TGF permettra de réduire de 30 minutes le trajet entre Québec et Montréal et de 90 minutes celui entre Québec et Toronto. Pour effectuer ce long trajet, il faudra mettre sept heures plutôt que huit heures et demie.

C’est une amélioration par rapport au train actuel de Via Rail, qui doit partager ses rails avec les trains de marchandises et dont la fiabilité n’est que de 70 %, les retards étant fréquents.

Or il faut comparer la performance promise avec celle des modes concurrents de transport. Pour le trajet Québec-Montréal, le train rivalise avec la voiture individuelle : en TGF, il faudra mettre à peu près le même temps. Pour les trajets Québec-Toronto ou Montréal-Toronto, c’est l’avion qui supplante le TGF : même en tenant compte du temps perdu dans les aéroports, l’avion est près de deux fois plus rapide.

Pour les fins de comparaison, le train à grande vitesse (TGV), une technologie éprouvée depuis 40 ans — la première ligne commerciale fut inaugurée en France en 1981 —, franchirait la distance entre Québec et Montréal en une heure dix minutes. Et Montréal-Toronto en deux heures trente, centre-ville à centre-ville, ce qui place ce moyen de transport devant l’avion.

En conférence de presse, mardi, le président du Conseil du Trésor, Jean-Yves Duclos, a affirmé que ce n’est pas la vitesse qui compte, mais la fréquence. Nous aimerions le croire. Mais on peut se demander si les avantages du TGF amèneront un grand nombre de voyageurs à changer leurs habitudes. L’avion et la voiture risquent de demeurer les modes de transport privilégiés entre Montréal ou Québec et Toronto tandis qu’entre Québec et Montréal, la voiture — éventuellement électrique — tiendra le haut du pavé.

En revanche, comme ça s’est vu en Europe, le TGV pourrait engendrer un véritable changement de comportement. Ses coûts sont quatre fois plus élevés que le TGF, il faut en convenir. Mais il faut tenir compte des coûts évités — l’élargissement éventuel de la 20, par exemple —, de la réduction de la congestion routière et des gains de productivité. En déclassant l’avion sur le trajet Montréal-Toronto, le TGV conduirait à une réduction appréciable des émissions de gaz à effet de serre causées par le transport aérien. Et n’oublions pas que les infrastructures aériennes sont largement subventionnées.

Le gouvernement Trudeau a choisi la solution la moins coûteuse, certes, mais celle qui ne modifiera pas fondamentalement l’ordre des choses. Pour un gouvernement qui vise une baisse de 40 % à 45 % des émissions de GES en 2030, c’est une occasion ratée.

L’annonce de mardi, à laquelle participaient, outre Jean-Yves Duclos, le ministre des Transports, Omar Alghabra — les rares mots en français qu’il a tenté de prononcer dans cette langue ont montré qu’il ne la parlait pas —, le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François Philippe Champagne, et le maire de Québec, Régis Labeaume, était éminemment électorale. Sur le plan politique, le TGF détient un net avantage sur le TGV. Tandis que ce train est conçu pour aller du point A au point B sans s’arrêter, le TGF peut faire des sauts de puce. Ainsi, en circulant sur la rive nord, il desservira Trois-Rivières, voire un chapelet de municipalités sur l’ensemble de la ligne. Déjà, la population de la Mauricie manifeste un appui enthousiaste au projet. De plus, l’annonce ne devrait pas nuire aux chances de réélection du député de Saint-Maurice–Champlain, le ministre Champagne. D’ailleurs, après leur prestation à Québec, les ministres fédéraux se sont déplacés à Trois-Rivières pour répéter leur laïus électoraliste.

Ni le gouvernement Trudeau ni Via Rail n’ont produit d’étude sérieuse pour comparer, sur les plans économique et environnemental, les deux trains au regard du trajet projeté. Il y a cinq ans, l’économiste de Québec Jean-Pierre Lessard y était allé de sa propre étude économique qui se concluait à l’avantage du TGV.

Le risque que nous courons, c’est qu’en 2030, au moment où il sera inauguré, et après avoir dépensé quelque 10 milliards, le TGF sera déjà dépassé. D’ailleurs, d’aucuns estiment qu’il l’est déjà tandis qu’au sud de notre frontière, le gouvernement Biden s’est engagé à investir plus de 100 milliards dans le transport de passagers par train rapide.

Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, certains voudront se consoler en se disant que ce TGF canadien est une amélioration par rapport au service actuel de Via Rail. Il est vrai qu’on ne peut faire plus archaïque. 

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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