Encourager la proximité
Le Comité consultatif sur la réalité policière a abattu un travail considérable afin de dépoussiérer la Loi sur la police, inchangée depuis vingt ans, alors que les attentes et les préoccupations de la population ont considérablement évolué. Il y a des pistes prometteuses, parmi les 138 recommandations, afin de recadrer le travail policier, revoir les exigences à l’entrée et, surtout, faire une plus grande place à la société civile dans la gouvernance des organisations policières.
Jusqu’à présent, une recommandation du rapport a fait couler beaucoup d’encre, soit la réduction de 31 à 13 corps de police au Québec. Cette centralisation des services est difficile à concilier avec le virage proximité espéré par les membres du comité.
La solution proposée n’est pas idéale, mais le problème que le comité souhaite régler est bien réel. De nombreuses formes de criminalité contemporaines, telles que le vol de données numériques, la pornographie juvénile ou encore le proxénétisme ne font pas partie de la palette d’expertises des corps de police de niveau 1 et 2. Pourtant, les petites municipalités sont aussi aux prises avec ces formes de délinquance qui s’exercent dans les univers virtuels. D’où cette proposition de regrouper les services de police des niveaux 1 à 3. Concrètement, la proposition reviendrait à fusionner la police de Mascouche, Terrebonne, Repentigny et L’Assomption/Saint-Sulpice pour la couronne nord-est de Montréal. Dans la couronne nord-ouest, les services de police de Blainville, Deux-Montagnes, Thérèse-de-Blainville, Mirabel et Saint-Eustache ne deviendraient qu’une seule organisation. Le scénario se répéterait un peu partout au Québec.
Tandis que les deux couronnes disposeraient d’une forte organisation policière, les municipalités resteraient autonomes, ce qui poserait rapidement un problème de gouvernance et de responsabilisation. De qui relèveraient ces services de police ? À qui rendraient-ils des comptes ? Dans les relations avec les élus à qui elles sont redevables, les organisations fusionnées gagneraient rapidement plus d’influence que la somme des municipalités qu’elles desservent. Les conséquences d’un regroupement d’une telle ampleur ravivent, même involontairement, le débat sur les fusions municipales.
Reportez le scénario à l’échelle du Québec, et la situation demeure la même. La Sûreté du Québec, qui n’est pas réputée pour être une organisation de proximité, deviendrait de facto le visage de la police pour des centaines de milliers de citoyens éparpillés sur le territoire québécois.
C’est pourquoi il y a une inadéquation profonde entre l’objectif proposé par le comité, soit le rapprochement de la police avec les citoyens, et la mesure suggérée. La réduction de 31 à 13 corps policiers viendrait éloigner davantage les patrouilleurs des milieux de vie et des citoyens qu’ils seraient censés connaître. Le souhait exprimé par le comité de bâtir « une police plus humaine » ne se matérialisera pas dans la centralisation à des fins d’économies et d’optimisation des capacités.
La ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, a d’ailleurs réservé un accueil plutôt tiède à cette proposition. Elle a également écarté l’idée de démanteler l’Unité permanente anticorruption (UPAC) pour l’intégrer à une nouvelle unité spécialisée en cybercriminalité et en crimes économiques. Trop de ressources et d’énergie ont été consacrées à la relance de l’UPAC. L’unité est en sursis. Elle demeure unique et essentielle pour débusquer les crimes de corruption politique, mais c’est à elle de faire la démonstration qu’elle en sera capable, sans embrouilles ni scandales internes.
Cela étant dit, le rapport regorge d’avenues intéressantes. Sans nécessairement fusionner les corps de police, il y a lieu de procéder à des regroupements d’expertise pour enquêter sur les crimes plus complexes. La constitution d’unités mixtes, comme ce fut le cas dans la lutte contre le crime organisé, pourrait être étendue à d’autres priorités d’enquête. Cela exige l’arrêt du travail en vase clos et des rivalités entre les organisations.
La proposition de recueillir des données raciales sur les personnes interpellées ne passera pas comme une lettre à la poste auprès des syndicats de policiers, mais c’est un passage obligé pour documenter et combattre efficacement le profilage racial, ce cancer qui mine le lien de confiance du public à l’égard de la police depuis tant d’années. Toutefois, les membres du comité ont raté une belle occasion de rapprochement avec les Premières Nations, qui se sont dites déçues du manque de considération de la réalité particulière des corps de police autochtones dans le rapport.
Après la publication du livre vert de la ministre Guilbault, ce rapport offre un complément indispensable pour repenser l’action policière au XXIe siècle. Alors que tous les groupes demandent à être entendus et à être consultés dans les étapes subséquentes — maires, syndicats et directeurs de police —, il faudra s’assurer que les intérêts corporatistes n’enterrent pas la voix des citoyens. C’est pour eux qu’il faut penser la police de demain.