Kafka en Québec

Le gouvernement fédéral vient de modifier sa façon de comptabiliser les nouveaux arrivants qui détiennent un certificat de sélection du Québec (CSQ) et qui sont en attente de leur statut de résident permanent, statut qui en fera des immigrants reçus. On voit que le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI), qui dépend du ministère Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) à Ottawa pour lui fournir ces données, a passé des années à se baser sur des chiffres erronés pour comprendre une réalité qui, finalement, lui échappe, des années à colporter les fausses statistiques fédérales.

Aux dernières nouvelles en provenance du MIFI, il y aurait eu 27 000 détenteurs de CSQ qui attendent leur précieux statut d’Ottawa. Mais voilà, on avait tout faux. C’est bien 51 213 détenteurs de CSQ qui poireautent et qui, pour la plupart, sont établis au Québec. Comme si cela n’avait qu’une importance secondaire, IRCC a révélé, l’air de ne pas y toucher, que les données fournies au MIFI ne visaient que les demandes en traitement et ne comprenaient pas les demandes auxquelles les autorités fédérales n’avaient pas envoyé d’accusé de réception, au nombre de 19 500.

Ce ne serait qu’un bête imbroglio administratif entre deux fonctions publiques en rivalité que ce serait déjà inacceptable. Mais c’est bien pire parce que, derrière ces chiffres, il y a des travailleurs qualifiés qui attendent plus de deux ans pour obtenir leur résidence permanente, après avoir déjà passé, au bas mot, dix-huit mois au Québec, des hommes et des femmes qui vivent dans la précarité.

Dans son édition de vendredi, Le Devoir rapportait sous la plume de Lisa-Marie Gervais le témoignage de quelques-uns de ces nouveaux arrivants. Il y a cet ingénieur en aérospatiale brésilien qui, après neuf ans passés au Québec, a décidé de plier bagage avec sa femme et ses deux enfants, toujours sans accusé de réception pour leur demande déposée à IRCC en 2018. Et cette ergothérapeute qui travaille à Chibougamau et cette neuropsychologue, toutes deux d’origine française, qui peinent à renouveler leur permis de travail. Parmi les 51 170 personnes, il en existe sans doute des milliers qui sont plongées dans une situation carrément kafkaïenne. Les 19 500 personnes qui n’ont pas obtenu d’accusé de réception d’IRCC ont besoin de ce document pour bénéficier de la couverture de la Régie de l’assurance maladie du Québec, pour maintenir en vigueur un CSQ ou pour reconduire un permis de travail.

Les autorités fédérales continuent de soutenir que c’est l’abaissement par le gouvernement Legault du seuil d’immigration en 2019 qui est la cause des délais et du gonflement du nombre de dossiers. Or IRCC a laissé en plan 17 000 personnes pourtant autorisées par le MIFI en 2020.

Au rythme prévu par la ministre Nadine Girault dans le dernier plan d’immigration, il faudrait plusieurs années pour venir à bout du paralysant retard de traitement. Le gouvernement caquiste miserait sur l’exode d’une partie de ces nouveaux arrivants qu’il n’agirait pas autrement. Lui qui persiste à dépeindre sous un jour avantageux le Québec dans le but d’attirer des candidats à l’immigration doit tenir ses promesses plutôt que continuer à faire de la publicité trompeuse à l’étranger.

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