Saint-Sulpice, un joyau plutôt qu’un fardeau

Qui eût cru qu’un joyau patrimonial, architectural, culturel et identitaire comme la bibliothèque Saint-Sulpice, sise en plein Quartier latin à Montréal, connaîtrait plus d’une décennie d’abandon et de négligence, ferait l’objet de moult rapports et recommandations, pour se retrouver, plus de cent ans après sa construction par les Sulpiciens, encore face au néant ?

Bien sûr, des histoires semblables de patrimoine en totale déroute, on en croise malheureusement de plus en plus, au gré du temps qui fait son œuvre. On connaît aussi les critiques sévères qui ont été maintes fois formulées à l’endroit de la direction gouvernementale du dossier patrimonial — le rapport lapidaire de la vérificatrice générale, Guylaine Leclerc, produit en juin 2020 résonne encore dans les mémoires. Malgré tout ce bagage de connaissances qui ne permet plus de plaider la surprise, il y a des histoires de patrimoine bafoué qui écorchent nos consciences plus que d’autres. Le périple des quinze dernières années de la bibliothèque Saint-Sulpice est une véritable histoire de ballottement et d’indécence. Honteux.

Saint-Sulpice n’est pas un édifice banal. Là où certains États peut-être auraient tout mis en œuvre pour trouver une vocation digne de son histoire à ce bâtiment de style beaux-arts construit en 1914, ici depuis plus d’une décennie d’inutilisation qui a endommagé ses murs, Saint-Sulpice cumule les projets avortés. Disons les choses franchement : s’il n’y avait pas une responsabilité financière d’importance attachée à l’entretien et à la préservation du bâtiment de la rue Saint-Denis, on n’en serait pas là. Depuis qu’en 2005 Saint-Sulpice a perdu son statut de Bibliothèque nationale du Québec, en droite ligne avec la construction de la Grande Bibliothèque du Québec et le transfert des collections nationales, les ratés s’additionnent. Un ping-pong politique est venu ajouter à un feuilleton déjà triste une couche de partisanerie nauséabonde sur le thème de « mon projet est meilleur que le tien ». Honteux.

Ce n’est pas comme si Québec ne disposait pas de tous les éléments pour prendre une décision éclairée et juste. En plus du rapport de la vérificatrice générale cité précédemment, il a en main la plus pertinente des analyses, effectuée par l’ancienne ministre libérale Michelle Courchesne et l’ex-recteur de l’UQAM Claude Corbo. À eux deux, ces éminences cumulent suffisamment de sagesse et d’expérience pour que leur rapportDévelopper une nouvelle vocation pour la Bibliothèque Saint-Sulpice, décembre 2015 — soit encore d’actualité aujourd’hui. Hormis une nécessaire mise à jour sur les lourdes conséquences de cinq ans d’abandon de plus sur le bâti, le rapport Courchesne-Corbo contient tout ce qu’il faut pour bâtir une parfaite grille d’analyse destinée à choisir une vocation future. Plus on tarde dans ce dossier, plus on étale au grand jour notre pathétique manque de vision, d’audace et d’agilité lorsqu’il s’agit de bichonner les fondements de notre culture.

Il y a d’abord les raisons qui justifient qu’on s’y attarde urgemment. Les valeurs de Saint-Sulpice sont nombreuses : architecturales, sans contredit ; historiques, assurément, ne serait-ce que parce qu’il s’agit d’une construction imaginée et réalisée par les anciens seigneurs de l’île de Montréal, les Sulpiciens ; identitaires, totalement, puisque Saint-Sulpice fut carrément la première bibliothèque accessible au grand public à Montréal.

Il y a ensuite les critères incontournables dans la sélection d’une nouvelle vocation. Que l’édifice conserve absolument un statut public qui le maintiendrait dans son caractère essentiel de bien commun. Que l’édifice poursuive un mandat culturel à la hauteur des missions d’origine qui ont été les siennes. Que l’édifice, classé monument historique depuis 1988, soit préservé et entretenu — la firme DMA Architectes vient de remettre un constat alarmant sur l’état de la bibliothèque, qui recommande des travaux de 9 millions de dollars sur trois ans sans quoi le patrimoine sera bafoué de manière irréversible.

Le gouvernement du Québec et sa ministre de la Culture et des Communications, Nathalie Roy, affirment souscrire à ces critères, auxquels ils en ajoutent un qui figurait aussi dans le rapport Courchesne-Corbo : celui de la viabilité financière. En 2015, Courchesne-Corbo suggéraient qu’à côté d’une vocation principale culturelle, la bibliothèque loue certains espaces pour atteindre une forme d’autonomie financière.

On ne compte plus les projets imaginés pour relancer Saint-Sulpice et qui sont morts au combat. Certaines idées imaginées en ce moment semblent plus seyantes que d’autres : une maison de la littérature, sur le modèle de celle qui, à Québec, a magnifiquement redonné vie à la première église de style néogothique, le temple Wesley, semble répondre aux critères de base. Peu importe le projet élu, donner une nouvelle vie à Saint-Sulpice en activant le formidable levier de revitalisation culturelle qu’il pourrait devenir devrait être une des « premières priorités » de la ministre Roy.

À voir en vidéo