Voler de ses propres ailes
Après le désistement d’Air Canada, Air Transat, ou plus précisément l’entreprise cotée en Bourse Transat A.T., devra faire cavalier seul et recourir à son plan B, ou même C, pour assurer sa survie. Si le gouvernement fédéral consent à lui apporter une aide substantielle, l’équipe actuelle est prête à tenter le coup et à convaincre des investisseurs d’injecter les fonds nécessaires.
C’est la Commission européenne qui a mis le clou dans le cercueil de cette offre d’achat lancée au printemps de 2019. Air Canada en est venue à la conclusion qu’elle ne pouvait pas satisfaire aux exigences de l’organisme au regard de la concurrence. Les deux transporteurs fusionnés auraient accaparé quelque 60 % du marché canadien des liaisons transatlantiques et des destinations soleil.
On peut dire que le consommateur québécois doit une fière chandelle à la Commission européenne. Il est bon de rappeler qu’en mars 2020, le Bureau de la concurrence du Canada s’était montré défavorable à la transaction, prévoyant une hausse des tarifs et une réduction du service. En février dernier, le nouveau ministre des Transports, Omar Alghabra, avait donné son aval à cette fusion, faisant fi des préoccupations touchant l’affaiblissement de la concurrence au pays. À sa décharge, la pandémie avait complètement chamboulé l’industrie du transport aérien. D’ailleurs, l’offre d’Air Canada, qui était de 13 $ l’action à l’origine et qui avait été relevée en août à 18 $, avait été ramenée à un maigre 5 $ en octobre dernier.
Évidemment, l’impasse financière dans laquelle se trouve Transat ne s’est pas évanouie avec l’offre, bien au contraire. La société a toujours besoin de 500 millions pour traverser cette deuxième année désastreuse et davantage pour assurer sa survie à moyen terme dans un marché qui ne renouera pas avant 12 ou 18 mois avec ce qui pourrait se rapprocher de la normalité.
Pour l’heure, la direction du voyagiste, dont le fondateur Jean Eustache et la cheffe de l’exploitation, Annick Guérard, entend mettre en œuvre son plan B, c’est-à-dire faire en sorte que Transat vole de ses propres ailes grâce à l’apport de ses principaux actionnaires, auxquels pourraient se joindre de nouveaux investisseurs. Le plus important actionnaire, Letko Brosseau, avec un bloc de 13 %, a indiqué mercredi qu’il préférait que Transat poursuive ses activités de façon indépendante. Les deux autres actionnaires importants, le Fonds de solidarité FTQ, avec 12 % des titres, et la Caisse de dépôt et placement du Québec, avec 6 %, suivent la situation de près.
Évidemment, l’aide d’Ottawa est essentielle. Sans elle, la société est condamnée. Au dire de Transat, les discussions avec le gouvernement fédéral sont bien avancées. Même si ce n’est pas son dossier, la ministre fédérale du Développement économique, Mélanie Joly, qui prenait part mardi à une conférence de presse en compagnie du ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, a confirmé que le voyagiste était en négociation pour obtenir une aide en vertu du programme Crédit d’urgence pour les grands employeurs (CUGE), un véhicule financier mis sur pied en mai 2020 afin d’apporter un financement de transition aux grandes entreprises dans ce contexte de pandémie.
À l’instar des autres transporteurs aériens comme Air Canada et WestJet, Transat sollicite en outre une aide sectorielle. Le prochain budget fédéral, qui sera présenté le 19 avril, pourrait être l’occasion pour la ministre des Finances, Chrystia Freeland, de dévoiler un plan de sauvetage pour l’ensemble des transporteurs aériens. Ce plan est attendu depuis des mois : dès juin 2020, la France, l’Allemagne et les États-Unis ont annoncé leur plan d’aide. Jusqu’ici, les transporteurs canadiens ont pu compter sur la subvention salariale d’urgence du gouvernement fédéral, mais ils ont tout de même dû puiser libéralement dans leurs liquidités.
Le ministre Fitzgibbon a affirmé que Québec était disposé à soutenir la relance de Transat, surtout si l’actionnariat reste québécois et que le siège social demeure à Montréal.
Si le plan B échoue, il reste le plan C, qui consiste à trouver un autre acquéreur. Pierre Karl Péladeau a déjà manifesté son intérêt d’acheter Transat et les circonstances se prêtent à ce qu’il l’acquière pour une bouchée de pain. Or il ne semble pas exister d’atomes crochus entre la direction du voyagiste et l’intempestif magnat.
Transat n’est pas ce qu’on peut considérer comme une entreprise stratégique. Il s’agit toutefois d’un fleuron qui a vu le jour grâce au savoir-faire québécois et qui employait, avant que la pandémie ne frappe, quelque 5000 personnes. Que cette entreprise originale, où on travaille en français, y compris les patrons, soit cédée à des intérêts étrangers ne serait rien d’autre qu’un cuisant échec.