Mode de scrutin: entre bonne et mauvaise foi
Piloté par la ministre responsable de la Réforme électorale, Sonia LeBel, le projet de loi 39 établissant un nouveau mode de scrutin est rendu à l’étape de l’étude détaillée devant la Commission des institutions. Mais voilà que le leader parlementaire du gouvernement, Simon Jolin-Barrette, a choisi d’accaparer cette commission pour l’étude de deux autres projets volumineux.
Le projet de loi de la ministre LeBel attendra. Le hic, c’est qu’il prévoit que la réforme du mode de scrutin doit être soumise à un référendum en même temps que l’élection d’octobre 2022 ; le Directeur général des élections (DGE) a prévenu le gouvernement qu’il a besoin d’un minimum de temps pour organiser cette consultation populaire. Si le projet de loi 39 n’est pas adopté au terme de la présente session, fin juin, le référendum ne pourra être organisé à temps.
Mercredi dernier, le Mouvement Démocratie nouvelle (MDN), qui milite pour une l’instauration d’un mode de scrutin dit proportionnel mixte compensatoire, s’est inquiété du manque d’empressement du gouvernement. Le « paquetage » de la commission parlementaire, une tactique dilatoire éprouvée, peut contrecarrer, par des moyens détournés, la réforme promise.
Pourtant, en novembre dernier, les représentants de MDN, Jean-Pierre Charbonneau et Françoise David, avaient rencontré le premier ministre François Legault et la ministre Sonia LeBel, qui avaient confirmé leur volonté de faire adopter le projet de loi au printemps. Tant Québec solidaire que le Parti québécois, qui, avec le Parti vert, ont signé l’entente multipartite avec la Coalition avenir Québec en mai 2018, ont réclamé la semaine dernière que la CAQ respecte son engagement.
Le chef caquiste a déclaré que l’élection de 2018 serait la dernière à se tenir avec la formule actuelle du scrutin majoritaire uninominal à un tour. François Legault, qui se targue de tenir ses promesses électorales, a déjà fait un premier accroc à celle-ci : en septembre, la ministre LeBel confirmait qu’il n’y aurait pas de changement pour la prochaine élection d’octobre 2022. Déposé fin septembre, le projet de loi 39 prévoit que le changement n’interviendra qu’en 2026, comme l’impose la tenue au préalable du référendum.
François Legault a déjà déclaré qu’il ne ferait pas comme Justin Trudeau, qui a renié sa promesse d’instaurer le scrutin proportionnel. Mais avec le concours diligent du leader Simon Jolin-Barrette, qui n’est pas un chaud partisan de la réforme, c’est le moins que l’on puisse dire, le premier ministre ne serait-il pas en train de procéder indirectement à une mise au rancart qu’il ne veut pas carrément ordonner ? Au moins Justin Trudeau a eu la franchise de dire qu’il brisait son engagement.
Si on veut que le taux de participation au référendum soit élevé, il y a lieu de le tenir en même temps que le scrutin d’une élection générale. Le repousser à une autre date risque d’affaiblir la participation au vote et, de là, la légitimité du résultat. Si le projet de loi 39 n’est pas adopté à temps, reporter le référendum à l’élection suivante, soit en 2026, serait parfaitement ridicule.
Il faut convenir qu’il est difficile pour un parti au pouvoir, voire contre nature, d’abandonner un mode de scrutin qui le favorise outrageusement. Dans son ouvrage La réforme du mode de scrutin au Québec — Trajectoires gouvernementales et pistes de réflexion, Julien Verville relève que, dès les années 1970, le gouvernement libéral de Robert Bourassa s’est penché sur une réforme du scrutin — en fait, Bourassa a fait semblant de s’y intéresser — tandis que les gouvernements Lévesque, Landry et Charest ont entrepris des travaux sérieux en ce sens sans venir à bout des blocages.
La réticence des députés caquistes est alimentée avant tout par des motifs personnels. Un certain nombre d’entre eux devront tirer leur révérence, puisque 45 des 125 sièges de circonscriptions disparaîtront pour faire place à des députés de liste élus sur une base régionale. Les circonscriptions seraient plus étendues, ce qui s’avère un inconvénient de la réforme proposée. Des élus caquistes craignent aussi que les députés de liste, dont la plupart proviendront des rangs de l’opposition, leur portent ombrage sur le terrain. Mais ces considérations pèsent moins lourd que les avantages du mode de scrutin proportionnel compensatoire. Aux dernières nouvelles, c’était aussi l’avis de François Legault.
Il y a lieu de se demander si Sonia LeBel, qui semble de bonne foi et qui a acquis une réputation de droiture dans ses relations avec les parlementaires des autres partis, ne fera pas les frais des manigances de ses collègues déterminés à torpiller la réforme en sous-main. Or si la bonne foi se présume, la mauvaise se constate.
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