Faire avancer le Québec
Le gouvernement Legault a maintenant entre les mains une proposition inédite lancée par deux juristes, le professeur de droit de l’Université Laval Patrick Taillon et, à titre personnel, l'un des avocats à l'emploi du Secrétariat aux relations canadiennes du Conseil exécutif, Hubert Cauchon: que l’Assemblée nationale modifie unilatéralement la Constitution du Québec qui apparaît dans la Loi constitutionnelle de 1867, ce que permet l’article 45 de la Constitution canadienne de 1982.
Ces modifications ne pourraient se montrer trop ambitieuses ni empiéter sur des éléments généraux de la Constitution de 1982, comme la Charte canadienne des droits etlibertés, le bilinguisme des tribunaux ou le rôle du lieutenant-gouverneur. Mais Québec pourrait traduire la partie de la Loi constitutionnelle de 1867 en y introduisant des termes employés dans la société et les lois québécoises depuis la Révolution tranquille. Eh oui, « traduire », puisque le texte original n’est qu’en anglais : une version française devait être produite « rapidement » après le rapatriement de la Constitution, mais près de 40 ans plus tard, ce n’est toujours pas fait. Dans ce pays sans bon sens, la célérité semble une chose bien relative.
Selon « l’interprétation la plus avantageuse » — ce sont les mots des deux juristes qui ont fait la proposition —, l’article 52 de la Constitution de 1982 prévoit que l’ensemble de la Loi constitutionnelle de 1867, y compris la partie V sur les Constitutions des provinces, est au-dessus des lois ordinaires, ce qui comprendrait les modifications apportées par Québec.
Des notions comme peuple du Québec, capitale nationale, souveraineté partagée pourraient faire partie de la loi fondamentale. Le mot province, que les jeunes générations ont recommencé à employer libéralement, pourrait disparaître au profit du terme État du Québec. Après tout, depuis la Révolution tranquille, le gouvernement du Québec, que ce soit dans ses lois ou ses communications, a cessé d’employer ce premier vocable, qui — il n’est pas inutile de le rappeler — viendrait du latin pro victis, ou territoire des vaincus. On pourrait même choisir l’expression État autonome du Québec, comme le suggère le politologue Éric Montigny.
Dans cette Constitution, Québec pourrait affirmer des caractères fondamentaux des institutions québécoises, comme le devoir de l’Assemblée nationale de défendre notre démocratie, la tradition de droit civil et le français comme langue officielle, suggèrent les deux juristes.
Il existe des précédents. Ainsi, en 1968, le gouvernement d’Union nationale de Jean-Jacques Bertrand a modifié la Constitution du Québec, par une simple loi, en abolissant la Chambre haute, appelée Conseil législatif, et en rebaptisant l’Assemblée législative, désignée depuis par l’appellation Assemblée nationale.
Évidemment, il existe une interprétation moins avantageuse, comme le rappelle Patrick Taillon. Pour le professeur de droit à l’Université de Sherbrooke Maxime St-Hilaire, il existe quatre acceptions du terme Constitution ; les modifications apportées à cette Constitution du Québec n’auraient pas de caractère supralégislatif. Si c’était le cas, la Constitution canadienne, dont la rédaction peut apparaître fautive à certains égards, perdrait toute sa cohérence.
Ce sont là des débats de haut vol entre constitutionnalistes patentés, et les mêmes juristes admettent que les tribunaux pourraient trancher dans un sens ou dans l’autre.
Même si l’interprétation avantageuse était retenue, cette reformulation constitutionnelle n’aurait pas l’envergure des projets de Constitution que défendent les tenants d’une assemblée constituante et des constitutionnalistes comme Daniel Turp. Mais Québec mettrait le pied dans l’étrier et préparerait le terrain pour d’autres modifications plus ambitieuses.
Si les juges surmontaient les éléments embêtants de leur propre jurisprudence et optaient pour l’interprétation la plus restrictive, les changements conserveraient tout de même un caractère symbolique. Toutefois, il y a toujours un risque à dissiper le flou très « british » qui subsiste au sein de notre régime constitutionnel et à laisser des juges, nommés par le gouvernement fédéral, ratiociner à ce sujet.
Pour le gouvernement caquiste, la question est avant tout politique. Ce projet constitutionnel s’inscrit parfaitement dans le « projet nationaliste » qu’il avait élaboré en 2015. Mais un gouvernement qui se dit pragmatique hésitera avant d’amorcer une démarche qui, bien que fondamentale, apparaît bien accessoire dans les circonstances actuelles. Or il faut voir plus loin que le bout de son nez, et le gouvernement Legault ferait œuvre utile en approfondissant sa réflexion sur le statut du Québec.
Une version précédente de cet éditorial a été modifiée pour préciser que Me Hubert Cauchon s’exprime à titre personnel dans sa proposition constitutionnelle.