Le cercle vicieux

À l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, les inhalothérapeutes quittent un navire qui multiplie les signes de détresse. La pandémie a certes entraîné ce sauve-qui-peut, mais la rareté de ce personnel spécialisé était déjà un enjeu avant même que le coronavirus ne se propage. Ces départs massifs jettent une lumière crue sur les dysfonctionnements du réseau de la santé.

Comme Le Devoir l’a rapporté cette semaine, de 15 à 20 inhalothérapeutes ont démissionné depuis un mois. Sur un total de 68 postes, seulement 14 sont occupés. Les médecins en soins intensifs — les intensivistes — sont appelés à remplacer les inhalothérapeutes pour les quarts de nuit. Selon le chef des soins intensifs de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, le Dr François Marquis, le département n’accueille que 18 ou 19 patients alors qu’avec des inhalothérapeutes et des infirmières en nombre suffisant il pourrait en traiter 15 de plus. Depuis le début de la pandémie, c’est un des hôpitaux qui ont reçu le plus de malades atteints de la COVID-19.

Avec quelque 2100 nouveaux cas par jour, le nombre d’hospitalisations au Québec continue toujours d’augmenter, tout comme celui des patients aux soins intensifs. La pression sur les hôpitaux de la grande région de Montréal s’accroît. La situation critique à Maisonneuve-Rosemont illustre le fait que ce ne sont pas les lits qui manquent, ni l’équipement, mais bien le personnel.

Comparés aux infirmières, les inhalothérapeutes sont peu nombreux — 4400 contre 73 000. Tous ne travaillent pas dans les hôpitaux, mais ils sont essentiels à leur fonctionnement. Dès qu’il y a une anesthésie, ils sont présents, au bloc opératoire et après, aux soins intensifs. Ils sont actifs aussi à l’urgence et en néonatalogie. On compte sur eux pour manipuler les respirateurs artificiels dont on a besoin pour maintenir en vie les patients les plus sévèrement atteints.

Nombre d’inhalothérapeutes qui ont donné leur démission de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont n’ont sans doute pas quitté la profession. Certains peuvent se retrouver dans d’autres hôpitaux moins surchargés. D’autres peuvent travailler dans des cliniques privées où on procède à des chirurgies sous anesthésie. Dans certains cas, ces cliniques privées offrent des services non couverts par la Régie d’assurance maladie Québec, comme les cliniques de chirurgie plastique.

Dans d’autres cas, les inhalothérapeutes sont recrutés par des cliniques privées qui prennent en charge des interventions dont les hôpitaux se sont délestés et que la Régie d’assurance maladie du Québec (RAMQ) rembourse. Des chirurgies de la hanche, par exemple. Ces cliniques privées offrent de bien meilleures conditions de travail aux inhalothérapeutes et aux infirmières qu’elles emploient : des horaires de jour et le nombre d’heures de travail par semaine qui leur convient.

À l’hôpital, c’est le travail de nuit qui les attend, les heures supplémentaires obligatoires, le stress des urgences. L’épuisement les guette.

Autre voie de sortie : les agences de placement de personnel soignant. Les inhalothérapeutes comme les infirmières peuvent se tourner vers ces agences pour grandement améliorer leurs conditions de travail. À la faveur de la pandémie, plusieurs professionnels de la santé ont fait le saut. Selon les données du ministère de la Santé et des Services sociaux cité par Radio-Canada, le réseau de la santé a presque doublé ses achats de services auprès des agences de placement depuis le printemps, qui pourraient atteindre 13,6 millions d’heures, l’équivalent de 7500 postes à temps plein, principalement des infirmières. Quand on sait que le réseau compte environ 60 000 infirmières, dont 45 % à temps partiel, c’est considérable.

Typiquement, à moins de réclamer un tarif à temps double, les agences fournissent du personnel pour des postes de jour. Des postes de choix sont occupés par les employés d’agences tandis qu’on déplace des infirmières chevronnées la nuit. C’est un cercle vicieux : plus les pénuries s’aggravent, plus les employés quittent le réseau, souvent pour les agences, ce qui aggrave les pénuries, et plus les directions ont recours aux agences, ce qui contribue à détériorer les conditions de travail du personnel. Ça ne peut plus durer.

Or le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, semble à court de solutions. Une entente de principe sur les conditions de travail est intervenue avec la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), qui représente les infirmières et les inhalothérapeutes. On espère qu’elle pourra améliorer un tant soit peu les choses. Mais elle n’est pas entérinée et ne peut s’appliquer avant la fin de l’urgence sanitaire.

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