​Relance de la culture en 2021: un désir d’exultation

Il s’est passé un événement significatif la semaine dernière dans les pages du Devoir. Des créateurs et des compagnies de théâtre privés de leur gagne-pain et de leur raison d’être pour la plus grande partie de l’année 2020 ont délié les cordons de leurs bourses pour financer la production d’un cahier spécial, intitulé Lever de rideau. Ils n’ont pourtant pas de spectacles à annoncer, ni l’espoir de retrouver le contact humain avec leurs publics respectifs dans un avenir rapproché. C’est l’entracte pour le monde du théâtre et des arts vivants, mais pour combien de temps encore ? Si les artistes en sont rendus à faire de la publicité pour rappeler qu’ils existent, c’est bien la preuve qu’il y a péril en la demeure.

La crise sanitaire a forcé le gouvernement Legault à faire des choix difficiles pour protéger la population et éviter l’implosion d’un système de santé malade de toutes les réformes qui ont contribué à amoindrir son agilité et son efficacité. Les décisions n’ont pas toutes été prises « en écoutant » la science, comme l’affirmait le premier ministre, François Legault. Le directeur national de santé publique, Horacio Arruda, en a fourni l’exemple, lors de sa récente comparution en commission parlementaire, en indiquant qu’il n’y avait pas d’empêchement à garder les musées et les restaurants ouverts cet automne, dans une perspective de santé publique. Le gouvernement en a décidé autrement pour éviter d’avoir à gérer des problèmes de perception d’iniquité entre les différents secteurs de l’économie.

Des iniquités, la pandémie en a généré treize à la douzaine, certaines aux conséquences beaucoup plus tragiques que le confinement des arts vivants. Les travailleurs au bas de l’échelle, les jeunes en mal de socialisation, les aînés fragiles et isolés, les personnes issues de minorités, les femmes conciliant responsabilités familiales et professionnelles, les plus pauvres d’entre les pauvres : la liste est longue parmi les victimes de la pandémie et des dommages collatéraux provoqués par le confinement et la contraction de l’économie.

S’il est un secteur de l’activité économique plus malmené que les autres, c’est bien celui des arts vivants. Ces derniers furent les grands oubliés du déconfinement du printemps dernier, alors que les bibliothèques, les musées et les ciné-parcs pouvaient reprendre leurs activités. La saison théâtrale fut l’affaire de quelques semaines cet automne avant que Montréal et Québec retombent en zone rouge.

En mai dernier, le mouvement Pour les arts vivants déplorait, dans les pages du Devoir, son statut de négligé dans le déconfinement. Sept mois plus tard, l’instigateur de la démarche, Olivier Kemeid, n’est pas plus optimiste. L’inquiétude, la précarité, le découragement guette le secteur des arts vivants. « Quand ça reprendra, on aura perdu des gens, sans savoir dans quel état seront ceux qui reviendront », dit-il. Selon l’analyse de l’Association canadienne des organismes artistiques, quelque 45 000 travailleurs du spectacle ont perdu leur travail dans la dernière année au Canada. De ce nombre, 41 400 ne sont plus à la recherche d’un emploi ou ont choisi de se tourner vers un autre domaine. L’association anticipe « une grave pénurie de main-d’œuvre qualifiée » lorsque les restrictions sur les spectacles seront levées.

Le gouvernement Legault a annoncé des investissements de 750 millions sur cinq ans en culture. Après le flottement des premiers mois, Québec a débloqué 50 millions supplémentaires en aide d’urgence pour les arts vivants, ce qui permettra aux salles de spectacles, aux théâtres et aux musées de récupérer l’équivalent de 75 % des revenus de billetterie pour six mois.

Les créateurs se demandent toujours quand ils retrouveront le contact direct avec leur public, sans lequel les arts de la scène perdent leur vitalité. Jusqu’à présent, Québec a demandé aux bêtes de scène de se transformer en artistes multimédias ou en diffuseurs numériques pour la durée de l’urgence sanitaire. Cette solution temporaire porte en elle la négation de l’art vivant. La scène, c’est avant tout un besoin irrépressible d’entrer dans une relation qui unit le spectateur et l’artiste dans un pacte implicite préalable à la levée même du rideau.

En 2021, espérons que les décideurs publics accorderont plus d’importance à la reprise des activités culturelles auxquelles sont associés le dynamisme et l’activité économique des grandes villes, comme Montréal et Québec. À tous les docteurs, cliniciens, spécialistes de la santé publique et politiciens qui prendront les décisions, nous suggérons de ne pas entraver outre mesure notre capacité de rêver et de projeter nos espoirs et nos peurs dans le miroir que nous offrent nos brillants créateurs. Nous aurons besoin d’exulter ensemble pour retrouver notre équilibre de vie.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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