Un beau et grand rattrapage
De nombreuses questions subsistent sur le prolongement du Réseau express métropolitain (REM) dans l’est de Montréal, un secteur historiquement négligé et oublié des investissements publics et privés. Mais aucune de ces interrogations n’est suffisamment importante pour effacer l’enthousiasme suscité par ce projet.
Le REM de l’Est prévoit 32 kilomètres de voies et au moins 23 stations réparties sur deux antennes. La première reliera Pointe-aux-Trembles au centre-ville de Montréal en moins de 25 minutes, dans l’axe du boulevard René-Lévesque et de la rue Notre-Dame. La seconde s’inspirera en partie de l’esprit de la « ligne rose » de la mairesse de Montréal, Valérie Plante, pour relier dans un axe nord-est les quartiers négligés en matière de transport collectif d’Hochelaga-Maisonneuve, de Rosemont–La Petite-Patrie, de Saint-Léonard et de Montréal-Nord.
La Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), instigatrice du projet, prévoit que 133 000 usagers par jour emprunteront le REM de l’Est en 2044. D’ici là, les terres contaminées et les secteurs paupérisés de l’Est auront connu une renaissance résidentielle, commerciale et institutionnelle que les milieux d’affaires francophones réclament depuis tant d’années. Ce n’est pas pour rien si la Société de développement Angus et son président et chef de direction, Christian Yaccarini, la Chambre de commerce de l’est de Montréal et sa p.-d.g., Christine Fréchette, et la Chambre de commerce du Montréal métropolitain et son président, Michel Leblanc, accueillent cette annonce avec euphorie. Le REM sera un levier important de réaménagement et de densification du territoire. Comme le souligne le directeur général de Vivre en ville, Christian Savard, le REM de l’Est améliorera le sort de quartiers trop longtemps isolés. « Mieux les servir est une question d’équité sociale », dit-il.
Saluons la collaboration inédite entre la ministre de la Métropole, Chantal Rouleau, et la mairesse Plante afin d’accélérer la transition sociale et écologique de Montréal par ce projet qui s’inscrit dans la volonté du premier ministre, François Legault, de faire de l’Est une « Silicon Valley » à la québécoise.
Certes, le projet aura un effet limité sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), avec un impact de 35 000 tonnes par année. C’est l’équivalent de moins de 13 000 voitures retirées des routes et c’est moins de 1 % de la cible québécoise de réduction des GES pour 2030. Le REM de l’Est ne freinera pas à lui seul la croissance du parc automobile. C’est pourquoi il faudra aussi mettre en avant d’autres projets de transport collectif, comme le suggère Vivre en ville : le raccordement de la ligne orange à la station Bois-Franc de la phase 1 du REM dans l’Ouest, le prolongement de la ligne bleue, etc.
Il faudra aussi veiller à ce que les projets de transport collectif ne soient pas arrimés uniquement aux attentes de rentabilité de la CDPQ. Il y a des limites à ne pas dépasser, et ce sont celles du schéma d’aménagement de la Communauté urbaine de Montréal (CMM). Le REM ne doit surtout pas devenir un vecteur d’accentuation de l’étalement urbain au-delà du bout de l’île dans un horizon de 25 ans.
En ce sens, les autorités devront trouver des mesures pour préserver l’accessibilité au logement, encourager l’accès à la propriété et veiller au maintien de la mixité sociale dans les arrondissements qui seront traversés par le REM. Comme le fait remarquer le nouveau président de l’Institut de développement urbain, Jean-Marc Fournier, il faut contenir les valeurs immobilières, et non les pousser à la hausse pour contenir l’étalement urbain. Or, le projet risque de provoquer l’effet contraire, quoiqu’il y ait place à bien des améliorations avant de crier à « l’embourgeoisement » d’un secteur aussi dévitalisé que l’Est. N’empêche que la vigilance sera de mise pour que prévale le bien public sur la spéculation immobilière.
La CDPQ devra se montrer prudente afin de ne pas exiger de l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM), qui coordonne les transports collectifs à l’échelle métropolitaine, des concessions pour favoriser la desserte du REM de l’Est au détriment des lignes d’autobus qui rabattent la clientèle vers les lignes de métro existantes. En matière de transport collectif, il faut augmenter l’offre globale dans l’agglomération métropolitaine et non pas déshabiller la STM pour habiller le REM.
Le préjudice esthétique et urbanistique du tracé envisagé sur le boulevard René-Lévesque reste un sujet de préoccupation. Un train léger à 5 mètres de hauteur qui divisera le centre-ville en deux est l’équivalent d’une hideuse cicatrice permanente. Malgré toutes les promesses et les belles intentions, ces aménagements vieillissent plutôt mal dans les quartiers à haute densité. C’est la grande faiblesse du projet, qu’un concours d’architecture et des consultations publiques sérieuses permettront de corriger.