Yes sir!
Question de rouler les mécaniques, le ministre responsable de la langue française, Simon Jolin-Barrette, a tenu, mardi, une conférence de presse singulière pour confirmer qu’il allait déposer un projet de loi, non pas lors de la présente session, mais au cours de la prochaine, au printemps. Un projet de loi dont il n’a pu parler, sinon en des termes très généraux, parce qu’il aurait commis, s’il l’avait fait, un outrage au Parlement.
Mais son introduction était particulièrement bien fignolée : les meilleurs rédacteurs de discours du gouvernement ont sans aucun doute mis la main à la pâte. « Les constats s’accumulent, et ils sont durs », a-t-il déclaré, signalant les « reculs inquiétants » du français dans le marché du travail, dans les commerces, dans les cégeps et les universités. « Et j’en passe », a-t-il ajouté. Aussi bien dire partout.
Le ministre en a profité pour formuler un nouveau concept, celui de la langue normale des études. Au Québec, « la langue normale des études n’est plus nécessairement le français », a-t-il déploré, révélant qu’il était « en réflexion » sur la possibilité d’étendre la loi 101 au cégep.
Or, dans les heures qui ont suivi, le premier ministre François Legault a coupé court à cette réflexion quand le leader parlementaire péquiste, Pascal Bérubé, à l’Assemblée nationale, lui a rappelé que l’agrandissement du cégep Dawson au coût de 50 millions figurait parmi les projets prioritaires visés par le projet de loi 66 sur l’accélération de certains projets d’infrastructure. Le premier ministre a répliqué qu’il n’était pas question d’interdire aux francophones d’étudier dans un cégep anglais.
Comme l’a documenté Frédéric Lacroix dans son ouvrage Pourquoi la loi 101 est un échec, les cégeps anglais connaissent un essor exceptionnel, ce dont témoigne le flot des demandes d’admission qu’ils refusent. Depuis 1995, la part des étudiants collégiaux qui fréquentent les cégeps anglais et leurs pendants privés subventionnés est passée de 14,9 % à 19 %, une progression de plus du quart, tandis que les anglophones ne comptent que pour 8,1 % de la population québécoise. Les étudiants anglophones sont désormais minoritaires dans leurs cégeps, qui sont courus par les étudiants parmi les plus méritants du secondaire français. Sur l’île de Montréal, près de 47 % des cégépiens qui se destinent à l’université étudient en anglais.
À la Fédération des cégeps, on défend le libre-choix, avançant que c’est le marché du travail, où l’anglais est de plus en plus exigé, qui dicte le choix des étudiants. C’est un peu court. Le cégep anglais conduit à une éducation universitaire en anglais. McGill est l’université la plus prestigieuse du Québec. Elle est aussi la plus riche : elle reçoit la part du lion des subventions fédérales et elle est la mieux pourvue en dons privés. La langue anglaise, c’est aussi la langue du continent, la langue de l’élite mondialisée.
Dans une lettre envoyée mercredi aux médias, des professeurs de cégep déplorent que de manière progressive, les études préuniversitaires en français soient déclassées. On pourrait dire la même chose des études universitaires et de la recherche en français.
Sans renier le libre-choix au cégep — le caucus des députés caquistes chérit le bilinguisme individuel —, François Legault a évoqué la possibilité de limiter la croissance des inscriptions dans les cégeps anglais. Cela s’impose : l’État québécois ne peut continuer à financer aveuglément l’anglicisation du Québec. Mais le problème est beaucoup plus large et touche l’éducation supérieure en français dans son ensemble ainsi que la recherche universitaire que contrôle désormais Ottawa.