Soutenir les jeunes après 18 ans
L’automne dernier, la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, présidée par Régine Laurent, recevait publiquement les témoignages troublants de jeunes adultes qui ont été pris en charge dans leur enfance ou à l’adolescence par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ).
Outre le récit des mauvais traitements dont ils ont fait l’objet, certains jeunes adultes ont déploré la pauvreté de l’éducation qu’ils avaient reçue. Bien souvent, leur cursus ne leur permet pas d’accéder au cégep et, dans nombre de cas, ne les conduit pas à l’obtention d’un diplôme d’études secondaires (DES). Plusieurs d’entre eux ont souligné les énormes difficultés qu’ils ont éprouvées quand ils ont atteint leur majorité, à 18 ans. Alors qu’ils avaient été habitués à un régime où tout était décidé pour eux, ils se sont retrouvés seuls sans avoir appris à s’organiser et sans avoir suffisamment d’argent pour se payer un logement décent.
Qui plus est, leur faible niveau de scolarité constitue un lourd handicap pour la majorité d’entre eux. Selon les données colligées par le partenariat de l’Étude sur le devenir des jeunes placés (EDJeP), lié à l’École d’administration publique (ENAP), seulement 25 % des jeunes qui ont été placés par la DPJ ont obtenu leur DES à l’âge de 19 ans, ce qui se compare à un taux de 79 % pour les élèves des écoles publiques.
Selon une analyse de l’EDJeP dévoilée lundi, et dont La Presse a fait état, l’État québécois aurait intérêt, ne serait-ce que pour des raisons économiques — et c’est loin d’être les seules —, à offrir un programme complet de soutien à la transition à la vie adulte pour les jeunes de la DPJ après 18 ans.
En s’appuyant sur des observations des effets d’un tel programme en Californie, où les jeunes peuvent décider de demeurer dans le giron du système de protection de la jeunesse jusqu’à l’âge de 21 ans, le gouvernement du Québec dépenserait 146 millions par an pour offrir cette option à 2000 jeunes année après année, tandis que les bénéfices annuels oscilleraient entre 154 et 254 millions. Les chercheurs signalent que le prolongement des services après 18 ans augmente la probabilité qu’un jeune obtienne son DES ou encore un diplôme d’études professionnelles (DEP). Fait non négligeable, ce soutien contribue à diminuer la détresse psychologique et les épisodes d’itinérance que connaissent près de 20 % des jeunes de la DPJ, notent les chercheurs.
En décembre dernier, même si les travaux de la Commission étaient loin d’être terminés, Régine Laurent a fait cinq recommandations qui, à ses yeux, ne pouvaient attendre. Une de ces recommandations visait ces jeunes adultes de la DPJ « dont le réseau social est affaibli et qui sont laissés seuls à 18 ans ». Il fallait financer davantage un programme de soutien existant qui les concernait et l’étendre à toutes les régions du Québec.
Le gouvernement Legault a exaucé partiellement la commissaire. En septembre dernier, le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, et le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Jean Boulet, ont annoncé l’octroi de 1,7 million à l’organisme Déclic, soit deux fois et demie son budget de fonctionnement, pour appuyer la réussite éducative des jeunes adultes sous-scolarisés, dont ceux qui sont passés par la DPJ. Au lieu de favoriser l’obtention rapide d’emplois mal payés et sans avenir, on encourage ces jeunes à obtenir une formation qualifiante. Cette initiative du gouvernement Legault est encore bien modeste. Il ferait œuvre utile en concevant un programme structuré qui soit offert à tous les jeunes adultes issus de la DPJ.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.