D’une lenteur choquante
La ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, a franchi une étape de plus dans le pénible parcours menant à la destitution du directeur général de la Sûreté du Québec (SQ), Martin Prud’homme. Rien n’est clair dans ce dossier, si ce n’est l’effet délétère du pourrissement des délais pour la réputation de ce policer de carrière et pour le lien de confiance du public à l’égard des institutions.
Ce que l’on sait ? En octobre 2017, Martin Prud’homme a passé un coup de fil à la directrice des poursuites criminelles et pénales (DPCP), Annick Murphy, pour se plaindre de soi-disant insinuations des procureurs de la Couronne sur ses relations avec le député et ex-policier Guy Ouellette (son ami) et Robert Lafrenière, le patron de l’UPAC à l’époque. Martin Prud’homme est en couple avec la fille de Lafrenière, Dominique Lafrenière, qui fut responsable de la direction des enquêtes criminelles de la SQ jusqu’à son retour aux études, en août dernier. Ce problème de proximité aurait dû inciter les gouvernements libéraux de Jean Charest et de Philippe Couillard à plus de prudence lorsqu’ils ont fait monter en grade le beau-père et son gendre, mais le mal est fait.
Pour en revenir à ce fameux appel, Me Murphy a attendu 16 mois avant de porter plainte pour intimidation au criminel contre Prud’homme, en mars 2019. Son geste a mené à la suspension provisoire du directeur général de la SQ. Le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) s’est traîné les pieds pendant près de trois mois, sans jamais rencontrer Martin Prud’homme pour obtenir sa version des faits, avant de soumettre un dossier au DPCP. En mars 2020, le DPCP a finalement jugé qu’il n’y avait pas matière à porter d’accusations, ce qui en dit long sur le sérieux de la plainte initiale de Me Murphy.
Après un an d’incertitude sur son sort, Martin Prud’homme n’était pas au bout de ses peines. Sa conduite présumée témoignait de manquements graves à l’éthique et à la déontologie policière. S’en est suivie une enquête du Secrétariat aux emplois supérieurs. S’appuyant sur un rapport de trois experts, le Secrétariat a conclu que Martin Prud’homme a commis une faute déontologique assez grave pour qu’il soit destitué. En vertu de la Loi sur la police et de la Loi sur la fonction publique, la ministre Guilbault a transmis le dossier à la Commission de la fonction publique pour une ultime recommandation. En définitive, il appartiendra à l’Assemblée nationale, aux deux tiers des voix, de se prononcer sur sa destitution, ce qui nécessitera l’appui de la majorité caquiste et d’au moins un parti d’opposition.
On ne peut pas dire qu’il manque de garde-fous pour assurer un traitement équitable de Martin Prud’homme. Les principaux torts qui lui sont causés n’en sont pas moins choquants : un refus d’obtenir sa version des faits dans l’enquête criminelle, et des délais interminables de 19 mois qui ont miné son moral et sa réputation. Cette lenteur institutionnelle lui a causé un tort irréparable.
On n’en sait pas plus sur le motif de la démarche, si ce n’est qu’il est « sérieux », a dit la ministre Guilbault. « Si je considérais que c’est frivole ou que c’est mineur, on n’en serait pas à mandater la Commission de la fonction publique », a-t-elle dit. Celle-ci a exhorté Martin Prud’homme à consentir à la diffusion du rapport, qui demeure confidentiel pour le moment.
La publication de ce rapport — dans sa totalité — est un passage obligé pour comprendre le fond de cette histoire et jauger de la crédibilité des protagonistes. Pour l’heure, les gestes reprochés à Martin Prud’homme ne semblent pas justifier sa destitution.